mercredi 7 mars 2007

été 2003

Cet été a été merveilleux... Nous venions de faire le check up de Manon, à l'hopital de Rouen, nous étions gonflés à bloc. Il valait mieux, car nous avions eu un préavis de mutation pour Le Havre fin avril... avec une confirmation en juin qui stipulait qu'il fallait être en poste là bas pour début septembre.... Nous faisions toujours en sorte de faire coïncider avec les rentrées scolaires. Nous savons par expérience que c'est très diffcile pour les enfants d'arriver en cours d'année, et même de changer d'école tout simplement.
Manon doublait son CP, nous pensions que c'était une bonne chose de tout recommencer à zéro, ailleurs... Julie perdait des amies de classe très attachantes, et s'inquiétait un peu. Zoé n'avait pas de soucis particuliers, sa première année de maternelle s'était bien passée.
Je gardais une petite Léa bien mignonne, et les parents étaient adorables. J'avais sympathisé avec une voisine assistante maternelle de ma rue. Elle débutait et je lui ai demandé si cela l'intéresserait de poursuivre l'aventure avec Léa... Les parents savaient que je la connaissais et avait confiance. Et mon amie voyait Léa chez moi et envisageait cela avec joie. Donc je pouvais passer la main tranquillement... c'était important pour moi. Et j'ai pu continuer à avoir des nouvelles de la poussinette longtemps après, de ne pas rompre le lien...
Nous avons commencé à chercher une location sur Le Havre, toujours par le biais de notre employeur. On avait goûté à la maison, au jardin. Difficile de faire marche arrière.... Le Havre est ma ville de naissance. Je la connais bien. Je l'aime et elle me hérisse le poil à la fois. Je ne sais pas l'expliquer. Je crois que mon attachement est vicéral. Il y abrite mon enfance avec ses peines et ses joies. Cette ambivalence a toujours été difficile à vivre pour moi. Je savais que je revenais vivre auprès de mes parents, et que c'était primordial. J'espérais trouver mon nid douillet quelque part.... pas loin d'eux.
Je n'avais jamais vécu dans cette ville en dehors de chez mes parents. J'étais partie de chez eux en 1991. J'étais en deuxième année de fac quand j'ai eu mon concours à la Poste... je suis restée un an à attendre qu'on m'appelle à l'activité, en tant que factrice stagiaire....je n'avais pas osé continuer mes études car on pouvait me convoquer à tout moment (cela a pris un an: si j'avais su, j'aurais peut-être eu ma licence....)... et j'avais besoin d'argent pour démarrer dans la vie... me meubler, le permis.... Bref j'étais pleine de projets. Jean-Phi faisait son armée et ré-intégrerait la Poste après, en fonction de mon lieu d'affectation... Tout était tracé...
Cette même année 1991, mon père est tombé gravement malade. Mes parents ont divorcé alors que j'avais neuf ans. J'ai très peu vu mon père après leur séparation, pour les mêmes raisons qui ont poussé ma mère a divorcé : la violence conjugale... Mon frère (de cinq ans mon aîné) et moi avons eu un appel de l'hopital du Havre un matin de mars 1991 : il recherchait les héritiers d'un monsieur hospitalisé en phase terminale d'un cancer "poumon et foie"... Nous sommes allés de suite voir notre père en réanimation. Le regard du personnel hospitalier était très dur, inquisiteur. Mais nous n'étions pas là pour raconter le pourquoi du comment. L'essentiel était que nous soyions auprès de lui en ce moment même... un passage très difficile pour lui et nous. A ce stade, peu importe ce qui a pu se passer durant les neuf premières années de ma vie... alors que mes deux parents vivaient ensembles... devant la mort, nous sommes bien peu de choses. Nous avons été là, chaque jour... nous avons parlé du passé. Ma mère est venue le voir, la veille de sa mort. Il a pu partir avec le regard apaisant de ses enfants penchés sur lui, qui lui tenaient la main... le 25 mai 1991.
Tout cela pour dire que j'arrivais au Havre cet été 2003 avec un passé chargé d'émotions. Mes dix années à Paris avait fait de moi une autre personne. J'avais tourné la page. J'avais commencé une autre vie. Femme, épouse, maman... je revenais dans ma ville natale avec une certaine appréhension.
Nous avons eu du mal à trouver une maison. Le hasard a fait qu'un projet immobilier neuf émergeait dans le quartier des docks du Havre... il y restait une maison neuve en attente de locataires. Ce qui m'a paru bizarre, car elle était livrable au 1er Août et personne ne la voulait. Le quartier m'a donné la réponse. C'était un quartier très diffcile, comme il en existe beaucoup dans cette chère ville. Nous avons hésité, et nous avons tenté le coup. Nous devions donc déménagé au 1er Août. Jean-Phi a donc posé un mois de congé, car son embauche était prévue le 28 août, date de notre anniversaire de mariage....
J'ai donc eu un été 2003 basé sous le signe des "cartons"... j'étais un peu perplexe quant au choix de notre future quartier.. L'école était classée en ZEP, ce qui en soi ne veut rien dire de mal, mais je connaissais trop la réputation de ce quartier pour me sentir zen. Manon avait eu une année scolaire chargée en difficultés et en émotions. Je me devais de lui offrir un deuxième CP plus calme et épanouissant. Je partais donc mitigée.


Fort heureusement nous avons passé un été formidable. Le mois de juillet est arrivé avec sa chaleur et son énorme luminosité... les jours sont plus longs, on tarde le soir sur la terrasse (et oui, même en Normandie!). Les voisins mangent dehors, discutent... les enfants jouent tard dans l'impasse. J'aime l'été...
Cet été allait être caniculaire, et on le sentait déjà... Mes beaux parents ont proposé de prendre les filles chez eux trois semaines, le temps pour Jean-phi et moi de vider la maison, de déménager... sans contraintes. C'était raisonnable d'un point de vue logistique, mais d'un point de vue affectif, j'en tremblais d'avance d'être coupée d'elles, si longtemps.... Zoé ne m'avait jamais quittée. J'en étais malade d'avance.
Ils sont venus les chercher début juillet. Nous avons passé quelques jours ensemble à la maison, en en profitant pour voir les beaux voiliers de l'Armada 2003... et les festivités qui allaient avec : le concert de Johnny Clegg, les jeux, les théâtres de rue, les stands de jeux, les petits restos... Manon était en pleine forme. Elle était joyeuse et nous ne faisions plus attention à ce qui tardait à venir en acquisition, nous étions devenus confiants et compatissants... elle allait bien.
Les filles sont parties le 10 juillet pour Agen. J'ai passé une journée kleenex et yeux explosés!!!! Je suis restée dans la maison à trier, en évitant de commencer les cartons par les chambres des
filles qui n'accueillaient plus de rires, de sauts, de joie.... j'ai commencé à revivre une fois que j'ai eu le coup de fil du soir, m'assurant qu'elles étaient arrivées à bon port... j'ai toujours eu une appréhension de la route.
Manon a profité de ses vacances chez papy et mamie pour faire des prouesses... elle avait la piscine à sa disposition, le soleil, l'amour infini et protecteur des parents de Jean-Phi... et elle ne témoignait pas de lassitude à ne pas voir papa et maman. Nous appelions tous les soirs. C'était mon petit réconfort avant de me mettre à table avec Jean-Phi, sur la terrasse... Manon apprenait à nager à son rythme, et était très fière de me le dire. J'étais vraiment contente pour elle.





on s'éclate, on s'éclate...

Julie s'éclatait et avait un rôle très maternelle en mon absence... surtout vis à vis de Zoé qui me réclamait et n'arrivait pas à estimer quand elle me reverrait... à cet âge, il est impossible de leur fixer un repère temporel.
Fin juillet est arrivé, et la chaleur grandissait et nous mettait à plat. La maison ne ressemblait plus à rien et il était difficile de se détendre dans la moiteur du soir ailleurs que dans le jardin...
Les parents de Jean-Phi sont remontés à Rouen avec les filles deux jours avant le déménagement, fixé au 1er août. Elles étaient magnifiques!!! Toutes halées, bavardes, heureuses de nous retrouver... j'étais aux anges.
Le déménagement s'est bien passé bien, grâce à l'aide de tous nos amis et parents présents. Les filles furent gardées par ma mère au Havre le jour J.
Le 3 août au matin nous avons repris la route pour Rouen, afin de rendre les clés et faire l'état des lieux. Les filles regardaient leu ancienne maison vide avec un air détaché. Pour elles, rien n'est destabilisant du moment qu'on est tous les cinq. J'étais plus nostalgique et réservée par rapport à ce que je quittais... et ce que je récupérais.
Nous avions juste eu le temps dans la nouvelle maison d'installer la cuisine et les lits. Tout le monde a été formidable, surtout avec la chaleur qui régnait.
Nous avons quitté Rouen en fin de journée et sommes partis pour Paris, nous partions le 4 au matin pour les Etats Unis. J'avais mis de côté mes valises avant le déménagement. Tout était très organisé.
J'avais un peu la trouille de partir si loin avec les filles. Zoé n'avait que trois ans et demi, Manon bientôt 7... je me demandais si elles supporteraient ce voyage de l'autre côté de l'Atlantique, dans un autre pays, une autre culture. Nous partions pour New York, et allions y passer trois jours d'affilée. Le but de ce voyage était avant tout le mariage du cousin de Jean-Phi qui vit à Philadelphie. Nous savions que nous devions être à Portland -Maine- le 16 août pour la noce, Zoé était demoiselle d'honneur... l'arrivée à New York nous avait donné l'idée de partir à l'aventure en louant une voiture, pour aller petit à petit jusqu'au lieu de la cérémonie. Mes beaux-parents nous accompagnaient puisque le marié était aussi leur neveu.
Bref une belle équipe....
Manon a passé tout le vol a regardé l'écran de contrôle sur le dos du siège passagé placé devant elle... en alternant avec les films proposés tels que Winnie l'Ourson ou Madame Doubtfire... elle était fascinée... Zoé dormait davantage... Julie a regardé Dardeville et Spy kids.... tout allait bien...
J'avais confectionné des badges avec un petit plastique, un bout de papier glissé dedans et une épingle nourrice... j'avais marqué dessus le prénom, le nom des filles, leur nationalité et l'hotel dans lequel nous étions chaque soir... J'étais une ancienne parisienne, habituée à prendre la métro même avec les filles... mais là, je m'imaginais New York dans le bruit et la démesure totale... Comme si j'allais vivre dans un tourbillon pendant trois jours et ne pas toucher terre...
Nous allions gérer trois enfants dans le métro new-yorkais, une poussette car on s'attendait à marcher beaucoup, un sac à dos de ravitaillement, des plans.... et il fallait puiser dans nos ressources scolaires pour se faire comprendre.
J'étais complètement à des années lumières de ce que j'allais découvrir en descendant de l'avion... New York était silensieuse et aérée... pas de foule furieuse dans le long couloir des taxis jaunes... mais une file disciplinée et un débit rapide.... Tout a toujours été comme cela, fluide, respirable, propre... je pensais connaître New York par le biais de la télévision... il n'en était rien...
Manon a été ravie, tout le temps... fascinée par la télé (Dora en v.o.), mais aussi les parcs (des écureuils gris partout), les buildings, les visites... il faut dire que les américains ont une façon de vivre qui ne peut que plaire aux enfants!!!! On y mange tout ce qu'ils aiment, Time Square est un lieu magique qui fait rêver petits et grands, Central Park abrite des jeux, un parc animalier magnifique.... le quartier de Ground Zero était sous un ciel bleu magnifique quand nous y sommes allés.... nous avons mis du temps à réaliser qu'il avait pu se passer une telle chose ici... à deux pas de la mer... dans un quartier d'affaire si paisible.... Quant à la statut de la liberté, elle a eu ses adeptes et les filles en parlent encore....



Manon, la nouvelle statue de la Liberté



Nous avons passé quinze jours là bas, allant de ville en ville... Washington, la Pennsylvanie, Buffalo (le Niagara), Syracuse, Portland, Boston, le Connecticut et de nouveau New York...

Au bord d'un lac perdu, aux USA

Manon a su s'adapter à tout et n'a jamais eu une seule crise d'angoisse, un seul besoin de retrouver son cocon et ses bases de toujours...
Après avoir eu une année scolaire difficile, nous vivions un été formidable, sans nos repères habituels... Les filles en sont revenues changées, grandies... Manon avait juste une sainte horreur des toilettes automatiques des aires d'autoroute et des hotels!!!! elle hurlait à chaque fois car la chasse d'eau se déclenchait automatiquement, car trop intimidée, elle ne s'asseyait pas franchement sur les toilettes... je l'accompagnais à chaque fois car je craignais que ses hurlements n'alertent les personnes des toilettes publiques dans lesquelles nous allions... des affiches d'enfants disparus (Amber Alert) tapissaient les murs de ces lieux si passagés et je ne voulais pas attirer l'attention !
Nous avons passé deux semaines qui nous ont donné un nouveau souffle... comme si ces six années de suivi pour Manon se terminaient en beauté pour laisser place à une nouvelle vie....
Nous sommes revenus avec des rêves plein la tête et l'impression d'avoir été récompensés de tant d'effort et de soucis... la page était tournée pour de bon...
Nous avons gardé depuis ce merveilleux voyage l'envie irrésistible d'y retourner...
C'est une promesse que nous nous sommes faites...
Manon n'a pas encore suffisamment la notion de l'argent et nous redemande tous les ans quand est-ce que nous retournerons en Amérique...
Zoé était malheureusement trop petite et ne se souvient qu'à travers les photos...
Julie espère y retourner et ne cesse de dire que plus tard, elle y vivra, et que comme cela, nous pourrons y venir tous les ans, chez elle...
La vie va faire le reste...
Il m'était vraiment impossible de penser que Manon tiendrait un tel voyage. Et elle a été très courageuse. Elle m'a étonné sur tellement de points.... Sa prématurité avait pris un autre visage depuis les résultats du CHU de Rouen, et depuis ce voyage... c'était comme si cela faisait partie intégrante de notre vie, de la sienne, et comme si nous rangions cet accouchement précoce dans une partie de notre coeur et de notre tête au même tître que les deux autres naissances... nous formions une famille soudée, heureuse, et prête à vivre avec les aléas de la complexité de Manon. Nous devions faire tout comme si de rien était, vivre, voyager, bouger... nous savions desormais ce qu'elle pouvait tolérer ou pas. Elle pouvait compter sur moi, sur son papa, sur ses soeurs, pour l'aimer et la défendre. Elle pouvait le faire avant, bien évidemment. mais nous étions plus faciles à ébranler lorsqu'elle était petite. Nous passions d'un doute à un autre. Nous accordions trop d'importance aux réflexions intolérables des personnes qui croisaient son chemin et ne se gênaient pas pour nous dire "ah oui, elle n'est pas comme ses soeurs".... Nous n'acceptions pas cette étiquette et nous voulions la rendre lisse et copie conforme de Julie ou Zoé... il en est hors de question depuis 2003. Nous avons mis le temps à sortir la tête de l'eau, surtout moi ... j'ai voulu élever mes filles et cela m'a permis de tout voir, par bonheur, mais j'ai trop voulu m'investir... est-ce vraiment trop ????
Il y avait deux possibilités : soit je reprenais mon boulot après sa naissance et faisait la politique de l'autruche... laissant une autre faire à ma place et en faisant semblant que tout aille bien...
Soit je prenais cela à bras le corps et je me surinvestissais d'une mission de super maman...
J'ai opté pour la seconde... et je ne le regrette pas.

Tout ce qu'il faut, c'est être en phase avec son choix....