mardi 13 février 2007

son entrée au CP

Manon est entrée au CP en septembre 2002. Nous n'étions plus sur Paris. Nous avions déjà eu une proposition de mutation pour Menton en 1998. C'était une année difficile, Paris nous apportait toutes les structures médicales dont Manon avait besoin. Nous n'avions pas sauté le pas.
Néanmoins l'idée de partir germait toujours. Nos familles respectives nous manquaient. Les filles étaient souvent malades. Manon avait toujours sa fragilité pulmonaire. Nous avions même dû lui faire un "test de la sueur" (suspicion de la mucoviscidose), tellement cela inquiétait les médecins. Tout fut négatif, fort heureusement.
J'étais en congé parental de Zoé, j'étais une maman comblée. Mes filles m'ont apporté des moments forts, pleins de bonheur.... Je ne savais pas ce que j'allais faire à l'issue de ce congé. Je pouvais ré-intégrer à la Poste, mais ma résidence administrative était Paris, et Paris seulement. Si on décidait de tenter la mutation par le biais de Jean-Phi, je devais me résigner à reprendre mon activité de nounou pour pouvoir le suivre... il n'y aurait pas de ré-intégration pour moi dans un autre département.
Nous ne sommes pas des gens qui faisons des plans sur la comète... arrive ce qui arrive... Une propostion pour Rouen est tombée en novembre 2001. Nous avons sauté dessus. C'était à une heure de chez mes parents, et encore près de Paris, notre ville de coeur, tout de même. Tout allait bien.
Nous avons trouvé une maison en location. C'était notre première maison, on était euphorique. Tout a été très vite. Un petit quartier en banlieue rouennaise, une maison en bois sur 3 étages, un jardin, une impasse, une forêt.... c'était très calme.



A Malaunay

j'ai dû passer mon permis en urgence, j'avais un peu dormi sur mes lauriers, trop habituée à mon métro! Tous ces changements ont occupé notre temps fin 2001 et aussi début 2002. Manon était en dernière année de maternelle, Julie en CE1, Zoé avait deux ans... Nous avions même pris une petite chienne, un bichon. Histoire d'aider Manon à apprivoiser sa trouille des animaux...
L'impasse permettait aux filles de jouer sans crainte. ma fenêtre de salon donnait dessus, et seuls nos voisins y rentraient en voiture, avec précaution puisqu'ils avaient eux-mêmes des enfants. Julie était la petite parisienne type, privée de nature et de grand air pendant trop d'années! Elle sortait par n'importe quel temps!!! (Et c'est bien connu qu'il ne pleut jamais en Normandie!!!) Elle était vexée de ne pas bien maîtriser le vélo et elle a appris de suite. Elle a voulu mettre des rollers, la trottinette sortait enfin de son sac pliable... c'était marrant. Le jardin accueillait une petite maison en plastique depuis Noël, les filles ouvraient et fermaient les volets, cultivaient des herbes ramassées un peu partout, les escargots vivaient dans un seau... tout était différent. Je n'avais plus à sortir vers 16h avec ma poussette double, mes goûters et mes packs de jus de fruits dans le filet... en demandant à Julie de rester à mes côtés, de faire attention aux passants, aux voitures... j'ouvrais ma porte fenêtre et zouh! elles étaient lâchées, la liberté!!!! Manon était la moins folle de crapahutage, elle ne voulait pas mettre les pieds sur un vélo et hurlait comme un animal qu'on égorge si on sortait les patins à roulettes!!!! Donc elle n'insistait pas et se repliait sur elle-même... julie avait déjà des copains et copines, souvent plus agés qu'elle... Zoé roulait dans l'herbe, j'avais dû lui prendre une combinaison spéciale tout terrain dans un magazine par correspondance... on aurait dit qu'elle allait à la pêche aux crevettes avec son habit jaune flash et ses bottes en plastique...
Quand j'y repense, on a vraiment dû faire rire les voisins : les parisiens ont débarqué !!! (même si c'est bien connu qu'il y a très peu de vrais parisiens et qu'au fond j'étais normande et Jean-Phi aquitain!!!!)
Bref, c'était la belle vie... Manon restait peureuse, peu dégourdie... mais nous le vivions bien.





La rentrée du CP est arrivée en septembre 2002. Manon avait un peu peur mais je pense que c'était nous qui induisions cette trouille. On l'avait brieffée tout l'été, avec l'annonce des devoirs à faire le soir, le maintien des stylos, la rapidité, la concentration... je la sentais anxieuse.
Sa maîtresse avait enseigné le CE2 pendant 20 ans, et pile poil cette année, elle se trouvait recalée au CP, le nouveau directeur de l'école ayant voulu le CE2... Cette institutrice était très gentille, très professionnelle. Je garde un très bon souvenir d'elle. Le seul hic, c'était son professionnalisme justement. Elle n'avait plus ses repères au niveau charge de travail, devoirs... et appliquait sa méthode de CE2. Manon a été surchargé de travail. Un enfant avide de connaissance et dégourdi pouvait s'accrocher et foncer, pas Manon.
Tous les soirs elle pleurait sur les devoirs. C'était dur. Je ne comprenais pas ce qui se passait : elle ne voyait pas ce qu'on attendait d'elle. Je lui disais "mais tu vois, un B et un A, ça fait BA... à toi de composer maintenant." Et rien ne venait. Elle me disait "mais c'est quoi un A"... "bah l'alphabet, tu sais les voyelles, les consonnes..." elle soupirait "mais à quoi ça sert, pourquoi on l'a inventé"... bref d'une consigne simple, il fallait faire un exposé hyper détaillé... à côté de cela, elle lisait la phrase du jour... de mémoire... et ceci sans soucis... comme pour les poésies qu'elle récitait sans les relire.
Elle a bluffé tout le monde. Jusqu'en mars, elle a mémorisé toute la lecture, les 6 poésies... elle pouvait ressortir tout à la demande. c'était impressionnant... les maths marchaient bien. Comme toujours avec Manon....
Mais quand il a fallu se mettre à lire vraiment, après Pâques, elle a saturé et a commencé à avoir des crises d'angoisse, de tétanie, limite spasmophilie... sa maîtresse était inquiète. Nous avions eu le droit à une psychologue scolaire depuis début janvier, celle-ci la prenait un après-midi la semaine pour l'évaluer, par le jeu, le dessin... cette femme avait réussi à faire des choses formidables avec Manon. Nous étions vraiment optimistes... mais là tout s'écroulait...
Manon subissait des violences scolaires qui me mettaient régulièrement K.O... elle était introvertie et c'était facile de la prendre comme cible... Son voisin de derrière en classe s'amusait à lui couper des mèches de cheveux par ci par là... elle les avait jusqu'aux fesses, il avait de l'occupation!!! Elle voyait ses gommes, crayons, stylos disparaître, je rachetais tout, tout le temps... elle était tapée, violemment, souvent des gifles, et on lui disait "réveille-toi andouille!"... Julie était dans la même cour qu'elle et a dû intervenir quand Manon a été mise au sol et ruée de coups de pieds dans le ventre...
Elle ne me disait rien, c'était cela le plus dur. J'ai su tout cela avec retard et j'ai vécu sur un petit nuage au début de son CP. Je ne pensais pas qu'on puisse être aussi méchant à cet âge là. J'ai donc dû intervenir. Ce qui n'a pas été difficile... je souffrais tellement que je trouvais l'enfant coupable à la sortie, prévenait le directeur et attendait les parents... certaines mamans ont compris et ont sermoné leurs enfants... certaines sont même devenues des amies, enfin une surtout, et son petit garçon a fini par devenir confiant avec moi et a protégé Manon... d'autres m'ont mis à terre en me disant qu'elle n'avait qu'à se défendre et que leur enfant n'avait rien fait... Je n'insistais pas...Chez moi, on ne dit pas à un enfant "tu ne dois pas mettre de baffe" en lui en collant une... c'est un paradoxe, une absurdité que je ne comprends pas. Comment inculquer la non violence en frappant son enfant????
il faudra qu'on m'explqiue un jour....
Manon a eu une initiation au violon après Pâques, dans le cadre scolaire. L'école de musique de la commune touchait l'école et cherchait de nouveaux élèves... cela s'est fait sans qu'on nous en parle. Je suis arrivée le midi à l'école et là j'ai vu Manon arriver vers moi avec des enfants de sa classe autour d'elle, c'était bizarre! Ils se sont jetés sur moi et le plus courageux m'a dit "Madame, elle n'est pas débile, Manon, elle sait jouer du violon, comme le monsieur de l'école de musique!!!"... j'ai souri, surtout pour le mot "débile", et je lui ai demandé de m'expliquer... puis j'ai eu confirmation par la maîtresse. Manon avait pris le violon et avait joué d'oreille, déclenchant étonnement et admiration... je n'ai jamais fait de musique, je ne voyais pas trop l'ampleur de l'exploit. J'étais surtout heureuse de voir Manon entourée des autres enfants, souriante, fière. Elle disait juste "bah je sais pas moi comment j'ai fait, c'est super facile ce truc!"....
Elle a été prise dans l'école de musique d'office un midi par semaine... je la laissais à la cantine... c'était un don à développer. Pourquoi pas?
Les soucis scolaires ne s'amélioraient pas pour autant... et le redoublement a été proposé dès début mai... j'ai commencé à me demander ce qui pourrait bien déclencher la lecture chez Manon... car recommencer deux fois la même chose me paraissait inutile... c'était la méthode qui n'allait pas, ou un blocage, ou quelque chose de plus grave que je ne voyais pas....
Ce mois-là, Delarue diffusait une émission "ça se discute" qui ne pouvait pas mieux tomber... du moins dans l'état d'esprit où j'étais... c'était sur l'autisme de haut niveau, l'autisme Asperger (Rain man, Bill Gates...) Je dévorais et pleurais en même temps que je découvrais la liste des signes distinctifs : langage monocorde, très élaboré, rituels, démarche sacadée, sautillements, pré-disposition dans certains domaines artistiques, grande mémoire... j'étais accablée... et je ne voyais que des doubles de Manon dans chaque portrait diffusé....Jean-Phi avait regardé avec moi et semblait moins affecté, plus mesuré... mais il comprenait mon émotion...
Tout s'est de nouveau embrouillé dans ma tête et j'ai parlé avec l'instutrice de Manon de tout cela, ainsi qu'avec la psy scolaire qui suivait Manon, en toute franchise. La maîtresse était d'accord pour que je me lance dans une évaluation des potentiels de Manon, afin de comprendre ses difficultés scolaires. Cela ne pourrait qu'être bénéfique, et décidérait si oui ou non Manon devait poursuivre dans un cursus scolaire dit "normal" ou au contraire être orientée ailleurs...
La psy scolaire était moins enthousiaste et m'avait clairement dit "mais enfin, Manon n'est pas autiste!!!!! Je la connais bien, vous vous trompez!!!". C'était dit très gentiment et avec beaucoup d'amour. Elle avait liée avec Manon une relation forte. Ma fille a toujours inspiré la bizarrerie au premier abord, mais tous ceux qui ont réussi à gratter derrière cette façade protectrice sont tombés en émoi, en amitié, très sincère, très forte... ils n'ont pas été nombreux. mais ceux qui ont su aller vers elle n'ont jamais regretté le détour... à toutes ces personnes, merci encore.
Je suis donc rentrée chez moi avec deux avis... J'ai pris rendez-vous au CHU de Rouen, et comme Manon était une grande prématurée, avec un papier de l'école signifiant clairement son échec scolaire, nous avons été pris dans les jours qui suivirent mon appel....
Manon a alors été vue en famille, puis seule... à plusieurs reprises... Nous y sommes allés trois fois en tout, sur quelques mois...
Pour cette première entrevue, jean-Phi et moi étions seuls avec elle, mes parents étaient venus garder les filles. Les grands parents étaient au courant de notre décision, de ce qu'on soupçonnait. Ils ne nous ont jamais empêché de faire quoique ce soit. Ils ont été atttentifs, mais très dépassés par les termes employés et la tournure des évènements. Ils aimaient Manon, avaient avec elle un rapport fort et privilégié. Elle était très attachée à ses papis, les couvrait de bisous, chahutaient avec eux... c'est avec son papy du Havre qu'elle adorait lire des livres et regarder les dragons chinois que celui-ci mettait en photo dans son bureau... c'est avec son papy d'Agen qu'elle a appris à nager dans la piscine familiale, en confiance, et avec tout le temps qu'elle espérait.... Pour eux, Manon était tout sauf autiste... elle ne craignait pas les calins, elle était aimante, attentive... un comportement autistique n'induisait-il pas un cloisonnement émotionnel, un refus du toucher, une peur du contact??? tout était confus... Manon avait des signes "autistiques", mais qu'à l'extérieur de notre cellule familiale... pourquoi ne réussissait-elle pas à être notre Manon à nous partout????
Je n'attendais pas vraiment une mauvaise nouvelle, je n'étais pas partie avec mes certitudes comme la fois où j'avais franchi les portes du camps... je me retrouvais face à un mur : l'école. Il fallait que l'on puisse certifier que Manon était apte à apprendre dans la filière scolaire normale... par un avis médical. Je n'avais pas le choix. Et l'émission de Delarue avait mis le feu aux poudres... c'était l'occasion de tout mettre à plat.
Manon a passé cette demi-journée de test dans le plus grand silence et la plus grande interrogation. En même temps, nous lui avions expliqué la veille le pourquoi de cette visite à l'hopital, et nous avions insisté sur le fait qu'elle n'y resterait pas, qu'elle repartirait avec nous... Je lui ai juste dit que c'était important, qu'il fallait vraiment qu'elle donne le meilleur d'elle même.
Tout a été très vite, et très bien fait. Les tests psychomoteurs ont révélé comme d'habitude une faiblesse, surtout en psychomotricité fine. Je ne pouvais pas le nier.
Nous devions la faire travailler là dessus.
Puis nous avons parlé de nous, de notre vécu, avec la psychologue. Manon écoutait. La psychologue l'étudiait, sans en avoir l'air.
Elle est allée voir l'ortophoniste... tout allait bien.
Elle est ensuite partie faire un test de Wisk (test de QI)....
Tout ce qui a suivi a dépassé mes espérances. J'étais soulagée, heureuse, fière, et terriblement en colère après moi.
Manon n'était pas autiste asperger. Cela n'avait rien à voir, il a fallu se contenter de cela. Manon a été declarée en difficulté motrice importante, nous avions pour consigne de la faire suivre en urgence. Une psychomotricienne pourrait faire des miracles... je me suis revue des années en arrière, complètement hermétique à la méthode et au prix des séances!!!!
Manon était une enfant très inhibée, en souffrance car très dévalorisée, très bousculée. Visiblement, tout allait trop vite dans ce monde de brutes!!!! Elle perdait les pédales, et rentrait dans sa coquille, uniquement hors de chez nous... là où elle perdait ses repères, ses protections. Manon vivait dans un cocon familial trop sécurisant. Il fallait qu'on l'aide à en sortir. Pour son bien.
Manon avait un QI élevé : le test écrit avait été fait en totalité, Manon avait totalisé un résultat de 117, ce qui était très bien à leurs yeux... elle n'avait pas voulu répondre à la partie orale, elle se mettait les doigts devant la bouche et regardait au sol... c'était dommage car cela aurait été plus significatif et impressionnant d'après eux. Elle avait une mémoire d'éléphant, elle retenait tout très vite... Selon eux, elle avait tout appris par coeur au niveau du CP de septembre à avril et s'était écroulée fatalement par saturation... il fallait maintenant que le déclic opère. Elle avait tout en elle. Contenu... c'était inconcevable.
Nous sommes partis de l'hopital avec un autre regard sur notre fille. rien n'a plus jamais été pareil. J'ai arrêté de douter de ses compétences et j'ai été vigilante à toute appelation de "débile" qu'on lui collait sur le front... Manon a dû le sentir, elle a été plus confiante avec moi. Elle venait faire ses devoirs sans crainte le soir et elle me disait sans cesse : "t'es fière de moi, maman; tu m'aimes?"... elle prenait plaisir à me montrer tout ce qu'elle savait faire et moi j'étais ébahie. Ma fille était dévérouillée.... ma fille était douée... et je l'ai ignoré pendant six ans....
Ce fut un vrai miracle... une vraie renaissance... tout a basculé depuis et nous avons pu mettre une croix définitive sur toute suspicion d'autisme...
Nous n'avons pas pu donner suite aux séances de psychomotricité que l'hopital nous conseillait pour début septembre... nous avons déménagé l'été 2003 pour Le Havre...
l'hopital nous avait conseillé de lui doubler son CP. Sa maturité psychologique n'allait pas de pair avec son potentiel d'apprentissage. l'un bloquait l'autre. Il fallait donc qu'elle se sente "au dessus" des autres, en confiance, pour déployer ses ailes... Nous avons écouté... et Manon a su lire dès le 1er jour de sa rentrée en deuxième CP...