la visite au Camps
Je n'ai pas le souvenir précis de la date, mais je n'y suis pas allée en début d'année 1999, car Zoé a occupé tout mon temps, quel bonheur!!!!
Je me revois juste partir avec Manon en poussette-canne, calée, renfrognée... un énième rendez-vous où sa maman l'amenait, persuadée d'enfin comprendre le mystère appelé "Manon"....
si seulement elle avait su me dire... m'expliquer qui elle était...
Il faisait beau... Le camps était à 15 min à pied de chez moi (le centre d'aide médico-psychologique, aussi appelé CMPP)... dans le quartier de la pelouse de Reuilly, de la piscine... je n'avais pas envie de passer par en haut, par la coulée verte... j'ai donc longé laconiquement le boulevard Diderot et la rue de Reuilly.... Des milliers de choses me traversaient l'esprit, comme si j'étais en train de vivre mes dernières heures d'innocence : "profite, ma belle, dans quelques minutes on va t'annoncer que ta fille n'est pas tout à fait comme les autres..."
J'ai toujours été spécialiste en scénario catastrophe! je vois toujours le pire avant le meilleur... toucher le fond pour mieux taper du talon et remonter... une bien drôle façon d'être et de penser...
Jean-Phi était resté avec Julie. Je ne voulais pas traîner ma blondinette dans cette structure lourde et certainement... lente... je ne savais pas du tout ce qui m'attendait...
Je suis arrivée et on m'a de suite dirigé vers une salle d'attente... Manon est sortie de sa poussette et ne bougeait pas. Elle est restée sur mes genoux. Nous n'étions que les deux seules personnes statiques et silencieuses. D'autres enfants erraient, sautillaient, gémissaient... se tapaient sur la tête avec la paume de la main... leurs yeux étaient "vides", ils ne me voyaient pas... les parents présents les ramenaient vers eux quand cela devenait pénible... mais en vain... certains criaient et semblaient avoir mal quelque part, recroquevillés dans un coin de la pièce... un petit se traînait au sol, ses jambes raides, son corps si frêle... c'était très dur à voir et je n'osais rien dire à leurs parents... ces personnes semblaient si fatiguées. leurs yeux ne cherchaient pas les miens, leurs mots étaient faibles et répétés envers leurs enfants... comme si c'était inlassablement le même refrain ; "viens ici, assieds-toi, calme-toi".... je crois que je commençais à comprendre.
Manon est alors entrée dans une pièce et j'ai suivi... la psychologue était souriante, âgée, rassurante. "Alors, vous venez pourquoi Madame?"
J'ai alors raconté la naissance de Manon, sa longue évolution, nos doutes, nos peurs, puis sa rentrée scolaire... j'étais très négative et je ne montrais rien de positif. J'étais sûre d'un verdict pessimiste. Je ne cherchais qu'une confirmation de ce que je croyais être vrai. Elle a alors regardé Manon, sur toutes les coutures. Elle lui a demandé de marcher droit d'un point à un autre, de la regarder, de venir voir un petit livre, de tenir un petit crayon... j'étais attendrie et triste. Manon me donnait mauvaise conscience à chaque regard pointé vers moi, comme si elle me suppliait de la sortir de là...
Puis nous avons parlé de son quotidien, de sa vie, de moi....
Et j'ai entendu cette psychologue me dire posément : "Votre fille n'a rien, madame. La personne qui vous a parlé d'autisme n'a certainement jamais fait un tour dans cette salle d'attente. C'est déplorable que quelqu'un puisse enseigner avec de telles lacunes... Manon est très inhibée, timide, lente... elle a besoin qu'on lui montre les choses pour bien les faire, qu'on l'aide un peu.... C'est de la confiance en elle et... en les autres dont elle manque....Avez-vous la possibilité d'avoir une aide scolaire dans cette classe ?" je savais que non. Des jumeaux prématurés étaient dans cette même école, je connaissais bien la maman. le petit garçon allait bien mais sa soeur était suivie à l'extérieur de l'école, dans uns structure spécialisée... Pour déclencher l'obtention d'une aide, Il faut un "handicap avéré"... Une "suspicion" ne suffit pas, même quand c'est difficilement mesurable... en tout cas, Manon n'entrait dans aucune case: pas assez "atteinte" - heureusement -, mais suffisament "spéciale" pour nécessiter une attention...
La psychologue a poursuivi : "il faut lui trouver une activité où elle se sente valorisée, pour son estime de soi... que voyez-vous?"
Le sport était la dernière chose à faire, son manque de souplesse, d'assurance, en faisaient une petite fille casanière et renfermée. Le graphisme était sa bête noire, elle peinait à tenir un crayon longtemps, trop de pression dans les doigts, trop de tension, et cela rendait le geste maladroit et insupportable pour elle... la coordination n'était pas son fort...
J'ai alors pensé à l'outil informatique. Nous avions des jeux éducatifs à disposition, julie adorait cela, mais nous n'avions pas encore testé Manon là dessus...
Jean-Philippe était très à l'aise en info et réparait tout ce qui traînait... c'était sa formation de base, et sa passion avant tout... je savais qu'il prendrait plaisir à l'initier... il était plus patient que moi. Et Manon avait beaucoup de son flegme.
j'ai promis de l'aider à tenir un crayon, des ciseaux, à enfiler des perles, pour améliorer sa psychomotricité fine... et la psychologue m'avait aussi dit de ne jamais la mettre en situation d'échec, de la flatter sans cesse, et de recommencer plus tard s'il le fallait...
Un très bon conseil, la flatterie, merveilleuse technique...
Je suis repartie soulagée, heureuse, prête à prendre tous ces défis à bras le corps...
Mon coeur de maman avait eu raison... Manon allait bien... j'aurais dû m'en douter... si seulement il n'y avait pas la pression sociale, l'école, le moule dans lequel il faut rentrer.... j'aurais pu passé à côté de tout cela.
L'année de maternelle qui a suivi a été un régal. Son instutrice avait entendu parler de Manon et avait réclamé à l'avoir dans sa classe. nous avions sympathisé lors des fêtes scolaires et de mon bénévolat à la bibilothèque de l'école... elle avait une formation en psychologie et était très douce, très gentille... Manon a pris beaucoup de plaisir à apprendre avec elle en deuxième section. Je suis restée quelques années durant en contact avec cette gentille institutrice. Je lui suis très redevable. Ce qui prouve que tout est une question de loterie, on peut tomber sur quelqu'un de bien, ou pas, pas qu'à l'école d'ailleurs.... mais, hélas, c'est encore valable aujourd'hui. J'ai ainsi dû faire face par la suite à toute sorte de jugement... j'ai à nouveau consulté pour suspicion d'autisme - version Asperger - et là, aussi, ma fille n'entrait pas dans cette "case".... elle a 10 ans aujourd'hui, elle va très bien...je l'aime fort.... et si c'était à refaire, je ne changerais absolument rien!