mercredi 4 juillet 2007

Manon se ronge les ongles

Manon a eu des ongles, un jour.... c'est sûr car c'est la première réflexion que je me suis faite en la dévisageant dans sa couveuse ...toute habillée de sparadras qu'elle était, de fils, de tubes...juste étalée comme une crêpe sur un lange, les membres étirés, la peau rouge et fine... je m'entends encore dire "oh regarde Jean-Phi elle a déjà des ongles, incroyable!"... Nous étions émerveillés. Malgré la gravité de la situation, et le peu de choses que nous savions...
Manon n'a plus d'ongles. Elle les ronge maladivement, jusqu'à s'arracher les petites peaux de côté qui font si mal quand on les enlève... Elle se fait du mauvais sang. Je ne peux pas comprendre. Je n'ai jamais été une petite fille de dix ans... du moins dans la tête de ma puce.
Non, elle en est certaine, je n'ai jamais eu dix ans et tous ses problèmes. Elle me le répète, elle est la seule au monde à vivre une telle angoisse, un tel calvaire.
Le calvaire est matérialisé par une "boum", cet après-midi même. Aujourd'hui c'est la "quille", le dernier jour d'école. Ambiance farniente et rangement des casiers... Cartable plein à craquer d'une année de travail acharné et appliqué. Tous ces efforts doivent être récompensés. Le maître a tranché : une boum fera l'affaire.
Fini le temps où nous amenions notre simple jeu de carte et où on se rougissait la main à coup de pouilleux massacreur... je date d'une autre époque. Sans commentaire.
Manon tremble.
"tu te rends pas compte... le maître a dit qu'il mettrait une flèche par terre, les filles en rang et les garçons en face... et quand ça tourne et que ça tombe sur nous, bah faut danser avec le garçon..."
l'horreur suprême. le cauchemar de Manon! Etre collée à quelqu'un, le toucher, sentir sa respiration, lui répondre si il parle... non vraiment, ça mérite bien de rogner encore un peu plus l'ongle du petit doigt gauche, et en reniflant de surcroit... je ne dois pas la disputer car vraiment là, elle n'en peut plus.
"Ca va aller, chérie, tu vas voir, tu vas t'amuser..."
Mine renfrognée, bras croisés sur la poitrine, Manon bougonne.
"Non, moi je veux pas danser, j'aime pas ça... ça me fatigue!"
Manon et la danse, ça fait deux. Elle fait des efforts quand nous avons un mariage, mais c'est vraiment parce que sinon, elle s'ennuie comme un rat mort. Et encore, le rat, je suis sûre qu'il s'éclate plus qu'elle. Même mort.
Le problème, c'est qu'elle se fatigue vite quand elle danse. Elle attaque tout au rythme de "Love is gone" de David Guetta et tant pis si "Titanic" passe juste après, elle continue sur sa lancée. Elle ferait un malheur à Ibiza. j'essaye de trouver son bouton "OFF" pour lui permettre de respirer, mais je le cherche encore...
Vu comme cela, vous comprenez mieux. La danse, ça l'épuise.
J'attends donc de voir dans quel état je vais la récupérer à 17h... Je n'arrête pas de penser à elle au moment même où j'écris ces mots. Il est presque 15h. Elle doit être en train de s'attaquer à l'os de ses doigts, je ne vois que ça...
Je ne vais rien dire et attendre qu'elle me fonce dessus, le cartable plus gros qu'elle sur le dos, les cheveux en bataille, la démarche saccadée... je vais la serrer contre moi, lui relever le menton, déposer un bisou sur son petit nez et lui dire "Alors, raconte?..."

La suite au prochain épisode...