lundi 20 août 2007

Retenue à un souffle...

Ce long week-end du 15 août (férié en France) a été propice à un séjour en mobil home au Pays Basque... Nous ne sommes pas pratiquants de surf, je dirai même que les vagues de l'Océan ne sont pour moi qu'un plaisir des yeux... j'ai eu de quoi me ravir, la mer a été déchaînée bien des fois... Nous avons eu de belles journées, à visiter l'arrière-pays... à profiter de la piscine du camping... à jouer au Yam's ou au Taboo avec les filles... à parler de tout et de rien le soir venu à l'heure du café...
Odile, la cousine de mon homme, nous avait gentiment invité à les rejoindre, son mari et elle, sur ce lieu de vacances, comme tous les ans, au 15 août... Nous y allons toujours avec grand plaisir... le mobil-home reste même confortable à 7 personnes... nous y passons de bons moments...
Les conversations tardives après une journée d'été partent souvent dans tous les sens. Et parfois, dans le sens inverse de la vie qui s'écoule...
Odile a subi un grave accident de la route, en 2002. Elle a toujours été battante et a toujours voulu faire avec cette "failure"... l'incluant à sa vie, acceptant les séquelles... elle m'a parlé un soir de son coma, de ce trou noir qu'elle n'arrive pas à éclaircir... consécutif à son traumatisme cranien... elle m'a avoué
"Je questionne souvent mon père pour savoir comment j'étais physiquement la première fois où il m'a vue en réanimation... si il pleurait, si il me parlait... ce qu'il faisait le soir en rentrant chez lui avec ma mère et ma soeur..."
J'ai repensé à ce coup de fil de mon beau-père qui me disait "Odile a eu un grave accident de voiture, je pars amener d'urgence mon frère et ma belle-soeur à l'hopital de Bordeaux... on leur a dit que leur fille était perdue..."...
Je lui ai répondu, évasive....
"Je sais que ton père pleurait au téléphone et n'arrêtait pas de dire que tu allais mourir... "
Elle a acquiescé et a rebondi.
"Oui, mais moi, je voudrais savoir à quoi il pensait, chaque jour quand il venait me voir..."
J'ai alors repensé à Manon, en réanimation, le lendemain de sa naissance. Je ne sais pas si un jour elle me demandera "A quoi tu pensais Maman en me regardant dans la couveuse???", mais j'ai eu un drôle de sentiment rien que de me l'imaginer.
Je ne sais plus si j'avais encore assez de force pour penser à quoique ce soit d'autre que de retenir mon souffle pour qu'elle puisse respirer à ma place. Je me souviens d'un état de fatigue et de passivité assez déconcertant. D'une envie de dormir et de me réveiller quand tout sera fini. Lorsqu'elle sera sortie de cette cage de verre et déconnectée des machines. Je sentais un poids immense sur mes épaules et je n'arrivais pas à m'en défaire.
C'était l'automne. Paris se tapissait de feuilles mortes et le froid revenait avec la tombée de la nuit plus précoce... Je passais mes journées dans une salle de réanimation coupée de la clartée du jour, tamisée par des lumières artificielles, où règnait une odeur puissante de desinfectant...j'avais l'impression que l'odeur du savon liquide que j'utilisais pour les mains ne me quittait jamais, rentrait dans mes pores... je faisais ce rituel chaque matin en arrivant pour me débarrasser des bactéries du dehors, vêtue de la tête aux pieds d'une blouse bleue en crépon... je faisais des choses systématiques dans une vie devenue mécanique... je crois que j'étais en suspens... en attente... en stand by...
Le soir venu je revenais à la maison, j'appelais la famille et annonçais les 10 grammes pris par ma crevette avec fierté... je serrais fort ma Julie, aimante, joyeuse, bavarde... elle voyait bien que j'avais besoin d'être secouée, ramenée à la vie normale... que je devais me souvenir que là, près de moi, il y avait des êtres vivants, qui se levaient chaque matin avec un but, un espoir... une raison de vivre...
Les gens que je croisais dans mon métro du soir avaient de la chance de rentrer chez eux, attendus par leur famille au grand complet...moi je revenais de voir mon bébé, qui commençait bien mal sa vie... j'enviais l'innocence de toutes ces personnes qui n'avaient qu'à se soucier dans l'immédiat que du repas à concocter le soir même... moi je mangeais pour me remplir d'un vide que Manon avait laissé... je n'avais plus de bébé en moi et je n'en avais pas non plus à la maison... je traînais dans sa chambre quand Julie était couchée, assise le dos contre le mur... Le regard perdu...rien ne laissait prévoir qu'un bébé vivrait ici, il y avait tous les cartons de la maison, entassés, immobiles...je n'avais le temps de rien... nous venions d'emmenager, et nous n'avions pas prévu qu'elle arriverait si vite...
Rien ne marquait sa présence effective, sa mise au monde... Manon n'existait pas encore...
Les faire-parts de naissance ont été édités et envoyés une fois qu'elle était sortie de l'hopital... seulement à ce moment... pas avant...
Ce n'est qu'à ce moment que je me suis sentie maman...
Et que j'ai senti que la fatique me quittait...
C'est de cela que je lui parlerai plus tard... de ce bonheur immense de l'accueillir dans notre foyer...
Le reste, c'est inscrit en moi, en elle... tout a été dit par nos regards partagés dans une chambre de néonat... par les calins que je lui faisais sans compter...
Nous le savons toutes les deux...



En neonat...