mardi 19 juin 2007

Manon "pas de bol"

Manon a beaucoup de petites trouilles et comme par hasard, ces vilaines petites trouilles le lui rendent bien. Je ne connais pas quelqu'un d'autre qui accumule autant les "pas de bol" (euh si peut-être bien son papa!!)...
Fort heureusement, le "happy end" survient toujours à la fin... je vous rassure.
Manon a peur du métro. Ce n'est pas de sa faute, je suis pareille. Nous avons vécu à Paris jusqu'à ses cinq ans, dans un quartier super, vivant, joyeux : le quartier d'Aligre dans le 12ème arrondissement. Je tentais des fois le coup de prendre le métro avec ma poussette et mes nanas, histoire d'aller chercher leur papa au boulot et de finir la soirée dans le quartier des Halles... Mais j'étais lessivée, poussiéreuse, avant même d'y arriver. Il ne faisait pas bon avoir des roues à la place des pieds dans ce Paris-là, et encore moins dans les couloirs du métro...
Manon avait donc déjà emprunté ce moyen de transport, accrochée à mon bras et à ma poussette. Je les tenais généralement comme une forcenée, les ongles enfoncés dans leurs petits poignets qui rougissaient sous la pression maladive de mes mains... Julie me disait alors "tu me fais mal, maman!" Je lui promettais de lâcher prise dès que nous sortirions de ce gouffre surchauffé et puant...
Au printemps 2003, nous avons projeté une virée à Paris pour voir une exposition de vieux trains sur les Champs Elysées. Nous descendions chez le frère de Jean-Phi, qui habitait encore à cette époque à la caserne de Champeret : il est pompier. J'étais super heureuse de revoir Paris, de retrouver son effervescence, ses rues, ses marchés...
Nous avons embarqué toute la "smala" avec nous dans le métro (je dis "smala" car le frère de Jean-Phi avaient déjà deux garçons à cette époque, un troisième est arrivé depuis). Les deux frangins dirigeaient la joyeuse troupe, distribuaient les tickets de métro aux mômes, trop fébriles de les composter eux-mêmes... je fermais la marche avec ma poussette canne, ma Zoé bien calée dedans, plutôt ravie de ne pas marcher, tout en papotant avec ma belle soeur.
Le métro est arrivé, et je tentais de ne pas paraître parano, de ne pas m'enchaîner à mes filles comme une folle furieuse... Jean-Phi m'avait dit "sois cool, je suis là"... Je lui avais dit "oui mais tu jettes un oeil, ok?"... les hommes ont à ce moment-là une façon bien spéciale de répondre "mais bien sûr que oui, comme si je le faisais jamais!!", qui vous incite à ne pas en rajouter sous risque de les voir prendre leur air blasé préféré... vous savez, le même qu'il prenne quand nous leur demandons de donner le bain à la petite dernière pour nous avancer et que nous arrivons en douce par dessus leur épaule en demandant : "Tu lui as bien rincé les cheveux??? L'eau n'est pas trop chaude??? Tu lui as fait faire pipi avant???"... si, si le même que cet air-là!!! Celui qui nous conseille de faire demi tour et de retourner à nos pâtes qui cuisent!!!!
J'étais donc confiante.
Je me tenais au pilier central, bien consciente que ma poussette enquiquinait tout le monde, malgré les regards baissés des parisiens fatigués, perdus dans un livre gris et ennuyeux, qui semblaient ne pas me voir... Manon était près de moi, debout, en train de décripter chaque nom de station... Jean-Phi était debout devant les sièges rabattus, avec Julie, tout près de la porte.
Manon a eu une phrase, unique, simpliste : "Y a combien de métro Maman?"... Nous prenions une ligne directe, sans aucun changement. Il y avait à peu près cinq stations...
Bref, un trajet à priori hyper fastoche, qu'on donne aux débutants fraîchement débarqués à St-Lazare, comme moi, en 1991...
J'ai répondu sans m'étendre sur la question "un seul Manon"...
j'ai regardé Zoé qui tétouillait son doudou lapin pour se rassurer, puis j'ai jeté un oeil à Julie et à Jean-Phi qui s'amusaient à dévisager les gens à moitié endormis, avachis, qui avaient dû louper leur arrêt... Je me revoyais des années en arrière, vivant dans cette capitale si grouillante et si belle... je me demandais si je pourrais y revenir, y revivre, maintenant que j'avais goûté au jardin, à la proximité de la mer en Normandie, à la vie tranquille... Tout revenait dans ma tête.
Le métro s'est immobilisé pour son premier arrêt et j'étais encore dans mes pensées.
Le bruit sourd annonçant la fermeture des portes a retenti, j'ai alors eu un sursaut et j'ai regardé Zoé... Manon ne tenait plus la poussette, elle n'était plus là... devant moi, de nouveaux visages me bouchaient la vue et j'ai juste eu le temps de secouer ma main en l'air et de dire "Jean-Phi, où est Manon?????!!!!" Les gens ont tilté, se sont écartés de mon champ de vision et j'ai vu Manon seule, stoïque sur le quai, les yeux écarquillés... le métro repartait... Jean-Phi m'a regardée, il a compris dans mes yeux que j'étais pétrifiée, et incapable d'agir... Il a bondi sur la porte automatique, l'a écartée de force et y a mis son bras... une personne l'a aidé et Jean-Phi a réussi à s'extirper et à tomber sur le quai, la chaussure encore coincée par le caoutchouc noir de la porte automatique, alors que le métro démarrait ...
J'ai juste aperçu ses yeux triomphants et rassurants, et le tunnel est arrivé, pour le wagon, et pour moi... j'ai senti venir le malaise et mon beau-frère est accouru pour me soutenir et me dire "respire, ça va aller, il est avec elle..."... Zoé tétouillait toujours son lapin et avait même trouvé sa tétine... j'avais chaud, froid... il me fallait de l'air...
J'ai eu le temps d'imaginer le pire, c'est incroyable ce que le cerveau humain peut pulser quand il est en panique. J'ai envisagé plein de scénarios affolants : Manon seule sur le quai, qui angoisse, part dans tous les sens, et tombe sur les rails... Manon qui pleure, reste immobile, et un individu s'approche pour lui dire "je vais te ramener à ta maman, viens avec moi" et elle disparaît avec cet inconnu, qui l'éloigne de sa vraie vie, pour lui en bâtir une autre, une méchante vie bien sûr...
J'ai ressenti une angoisse terrible, comparable à celle qui survient quand vous avez votre bambin sous les yeux dans le rayon lessive d'un supermarché... que vous lui dites "tu bouges pas de là" et que vous tentez comme une malade d'attraper le bidon le moins cher perché tout là haut... et quand vous le tenez enfin, triomphante, et bien le cher petit n'est plus là, envolé, disparu... la scène classique qui donne des suées froides et apprend ce qu'est la culpabilité maternelle...
Tout s'est bien terminé, vous vous en doutez. Jean-Phi m'a appelé sur le portable pour me dire : "tout va bien, je prends le métro suivant et je vous rejoins..."... Manon n'a pas eu le temps d'avoir peur car elle n'a pas vraiment compris... à la limite, je pense qu'elle a cru que c'étaient nous les farfelus, qui avions oublié de descendre... Elle m'a juste dit "bah maman, tu m'avais dit un métro???" J'ai pris ma nénette dans les bras et je l'ai serrée très fort.
je peux vous dire que la visite des trains sur les Champs Elysées s'est faite "à l'ancienne", c'est à dire petites mains cramponnées à ma poussette et aucune possiblité de regarder quoique ce soit sans m'avoir sur le dos!