mardi 13 février 2007

son entrée au CP

Manon est entrée au CP en septembre 2002. Nous n'étions plus sur Paris. Nous avions déjà eu une proposition de mutation pour Menton en 1998. C'était une année difficile, Paris nous apportait toutes les structures médicales dont Manon avait besoin. Nous n'avions pas sauté le pas.
Néanmoins l'idée de partir germait toujours. Nos familles respectives nous manquaient. Les filles étaient souvent malades. Manon avait toujours sa fragilité pulmonaire. Nous avions même dû lui faire un "test de la sueur" (suspicion de la mucoviscidose), tellement cela inquiétait les médecins. Tout fut négatif, fort heureusement.
J'étais en congé parental de Zoé, j'étais une maman comblée. Mes filles m'ont apporté des moments forts, pleins de bonheur.... Je ne savais pas ce que j'allais faire à l'issue de ce congé. Je pouvais ré-intégrer à la Poste, mais ma résidence administrative était Paris, et Paris seulement. Si on décidait de tenter la mutation par le biais de Jean-Phi, je devais me résigner à reprendre mon activité de nounou pour pouvoir le suivre... il n'y aurait pas de ré-intégration pour moi dans un autre département.
Nous ne sommes pas des gens qui faisons des plans sur la comète... arrive ce qui arrive... Une propostion pour Rouen est tombée en novembre 2001. Nous avons sauté dessus. C'était à une heure de chez mes parents, et encore près de Paris, notre ville de coeur, tout de même. Tout allait bien.
Nous avons trouvé une maison en location. C'était notre première maison, on était euphorique. Tout a été très vite. Un petit quartier en banlieue rouennaise, une maison en bois sur 3 étages, un jardin, une impasse, une forêt.... c'était très calme.



A Malaunay

j'ai dû passer mon permis en urgence, j'avais un peu dormi sur mes lauriers, trop habituée à mon métro! Tous ces changements ont occupé notre temps fin 2001 et aussi début 2002. Manon était en dernière année de maternelle, Julie en CE1, Zoé avait deux ans... Nous avions même pris une petite chienne, un bichon. Histoire d'aider Manon à apprivoiser sa trouille des animaux...
L'impasse permettait aux filles de jouer sans crainte. ma fenêtre de salon donnait dessus, et seuls nos voisins y rentraient en voiture, avec précaution puisqu'ils avaient eux-mêmes des enfants. Julie était la petite parisienne type, privée de nature et de grand air pendant trop d'années! Elle sortait par n'importe quel temps!!! (Et c'est bien connu qu'il ne pleut jamais en Normandie!!!) Elle était vexée de ne pas bien maîtriser le vélo et elle a appris de suite. Elle a voulu mettre des rollers, la trottinette sortait enfin de son sac pliable... c'était marrant. Le jardin accueillait une petite maison en plastique depuis Noël, les filles ouvraient et fermaient les volets, cultivaient des herbes ramassées un peu partout, les escargots vivaient dans un seau... tout était différent. Je n'avais plus à sortir vers 16h avec ma poussette double, mes goûters et mes packs de jus de fruits dans le filet... en demandant à Julie de rester à mes côtés, de faire attention aux passants, aux voitures... j'ouvrais ma porte fenêtre et zouh! elles étaient lâchées, la liberté!!!! Manon était la moins folle de crapahutage, elle ne voulait pas mettre les pieds sur un vélo et hurlait comme un animal qu'on égorge si on sortait les patins à roulettes!!!! Donc elle n'insistait pas et se repliait sur elle-même... julie avait déjà des copains et copines, souvent plus agés qu'elle... Zoé roulait dans l'herbe, j'avais dû lui prendre une combinaison spéciale tout terrain dans un magazine par correspondance... on aurait dit qu'elle allait à la pêche aux crevettes avec son habit jaune flash et ses bottes en plastique...
Quand j'y repense, on a vraiment dû faire rire les voisins : les parisiens ont débarqué !!! (même si c'est bien connu qu'il y a très peu de vrais parisiens et qu'au fond j'étais normande et Jean-Phi aquitain!!!!)
Bref, c'était la belle vie... Manon restait peureuse, peu dégourdie... mais nous le vivions bien.





La rentrée du CP est arrivée en septembre 2002. Manon avait un peu peur mais je pense que c'était nous qui induisions cette trouille. On l'avait brieffée tout l'été, avec l'annonce des devoirs à faire le soir, le maintien des stylos, la rapidité, la concentration... je la sentais anxieuse.
Sa maîtresse avait enseigné le CE2 pendant 20 ans, et pile poil cette année, elle se trouvait recalée au CP, le nouveau directeur de l'école ayant voulu le CE2... Cette institutrice était très gentille, très professionnelle. Je garde un très bon souvenir d'elle. Le seul hic, c'était son professionnalisme justement. Elle n'avait plus ses repères au niveau charge de travail, devoirs... et appliquait sa méthode de CE2. Manon a été surchargé de travail. Un enfant avide de connaissance et dégourdi pouvait s'accrocher et foncer, pas Manon.
Tous les soirs elle pleurait sur les devoirs. C'était dur. Je ne comprenais pas ce qui se passait : elle ne voyait pas ce qu'on attendait d'elle. Je lui disais "mais tu vois, un B et un A, ça fait BA... à toi de composer maintenant." Et rien ne venait. Elle me disait "mais c'est quoi un A"... "bah l'alphabet, tu sais les voyelles, les consonnes..." elle soupirait "mais à quoi ça sert, pourquoi on l'a inventé"... bref d'une consigne simple, il fallait faire un exposé hyper détaillé... à côté de cela, elle lisait la phrase du jour... de mémoire... et ceci sans soucis... comme pour les poésies qu'elle récitait sans les relire.
Elle a bluffé tout le monde. Jusqu'en mars, elle a mémorisé toute la lecture, les 6 poésies... elle pouvait ressortir tout à la demande. c'était impressionnant... les maths marchaient bien. Comme toujours avec Manon....
Mais quand il a fallu se mettre à lire vraiment, après Pâques, elle a saturé et a commencé à avoir des crises d'angoisse, de tétanie, limite spasmophilie... sa maîtresse était inquiète. Nous avions eu le droit à une psychologue scolaire depuis début janvier, celle-ci la prenait un après-midi la semaine pour l'évaluer, par le jeu, le dessin... cette femme avait réussi à faire des choses formidables avec Manon. Nous étions vraiment optimistes... mais là tout s'écroulait...
Manon subissait des violences scolaires qui me mettaient régulièrement K.O... elle était introvertie et c'était facile de la prendre comme cible... Son voisin de derrière en classe s'amusait à lui couper des mèches de cheveux par ci par là... elle les avait jusqu'aux fesses, il avait de l'occupation!!! Elle voyait ses gommes, crayons, stylos disparaître, je rachetais tout, tout le temps... elle était tapée, violemment, souvent des gifles, et on lui disait "réveille-toi andouille!"... Julie était dans la même cour qu'elle et a dû intervenir quand Manon a été mise au sol et ruée de coups de pieds dans le ventre...
Elle ne me disait rien, c'était cela le plus dur. J'ai su tout cela avec retard et j'ai vécu sur un petit nuage au début de son CP. Je ne pensais pas qu'on puisse être aussi méchant à cet âge là. J'ai donc dû intervenir. Ce qui n'a pas été difficile... je souffrais tellement que je trouvais l'enfant coupable à la sortie, prévenait le directeur et attendait les parents... certaines mamans ont compris et ont sermoné leurs enfants... certaines sont même devenues des amies, enfin une surtout, et son petit garçon a fini par devenir confiant avec moi et a protégé Manon... d'autres m'ont mis à terre en me disant qu'elle n'avait qu'à se défendre et que leur enfant n'avait rien fait... Je n'insistais pas...Chez moi, on ne dit pas à un enfant "tu ne dois pas mettre de baffe" en lui en collant une... c'est un paradoxe, une absurdité que je ne comprends pas. Comment inculquer la non violence en frappant son enfant????
il faudra qu'on m'explqiue un jour....
Manon a eu une initiation au violon après Pâques, dans le cadre scolaire. L'école de musique de la commune touchait l'école et cherchait de nouveaux élèves... cela s'est fait sans qu'on nous en parle. Je suis arrivée le midi à l'école et là j'ai vu Manon arriver vers moi avec des enfants de sa classe autour d'elle, c'était bizarre! Ils se sont jetés sur moi et le plus courageux m'a dit "Madame, elle n'est pas débile, Manon, elle sait jouer du violon, comme le monsieur de l'école de musique!!!"... j'ai souri, surtout pour le mot "débile", et je lui ai demandé de m'expliquer... puis j'ai eu confirmation par la maîtresse. Manon avait pris le violon et avait joué d'oreille, déclenchant étonnement et admiration... je n'ai jamais fait de musique, je ne voyais pas trop l'ampleur de l'exploit. J'étais surtout heureuse de voir Manon entourée des autres enfants, souriante, fière. Elle disait juste "bah je sais pas moi comment j'ai fait, c'est super facile ce truc!"....
Elle a été prise dans l'école de musique d'office un midi par semaine... je la laissais à la cantine... c'était un don à développer. Pourquoi pas?
Les soucis scolaires ne s'amélioraient pas pour autant... et le redoublement a été proposé dès début mai... j'ai commencé à me demander ce qui pourrait bien déclencher la lecture chez Manon... car recommencer deux fois la même chose me paraissait inutile... c'était la méthode qui n'allait pas, ou un blocage, ou quelque chose de plus grave que je ne voyais pas....
Ce mois-là, Delarue diffusait une émission "ça se discute" qui ne pouvait pas mieux tomber... du moins dans l'état d'esprit où j'étais... c'était sur l'autisme de haut niveau, l'autisme Asperger (Rain man, Bill Gates...) Je dévorais et pleurais en même temps que je découvrais la liste des signes distinctifs : langage monocorde, très élaboré, rituels, démarche sacadée, sautillements, pré-disposition dans certains domaines artistiques, grande mémoire... j'étais accablée... et je ne voyais que des doubles de Manon dans chaque portrait diffusé....Jean-Phi avait regardé avec moi et semblait moins affecté, plus mesuré... mais il comprenait mon émotion...
Tout s'est de nouveau embrouillé dans ma tête et j'ai parlé avec l'instutrice de Manon de tout cela, ainsi qu'avec la psy scolaire qui suivait Manon, en toute franchise. La maîtresse était d'accord pour que je me lance dans une évaluation des potentiels de Manon, afin de comprendre ses difficultés scolaires. Cela ne pourrait qu'être bénéfique, et décidérait si oui ou non Manon devait poursuivre dans un cursus scolaire dit "normal" ou au contraire être orientée ailleurs...
La psy scolaire était moins enthousiaste et m'avait clairement dit "mais enfin, Manon n'est pas autiste!!!!! Je la connais bien, vous vous trompez!!!". C'était dit très gentiment et avec beaucoup d'amour. Elle avait liée avec Manon une relation forte. Ma fille a toujours inspiré la bizarrerie au premier abord, mais tous ceux qui ont réussi à gratter derrière cette façade protectrice sont tombés en émoi, en amitié, très sincère, très forte... ils n'ont pas été nombreux. mais ceux qui ont su aller vers elle n'ont jamais regretté le détour... à toutes ces personnes, merci encore.
Je suis donc rentrée chez moi avec deux avis... J'ai pris rendez-vous au CHU de Rouen, et comme Manon était une grande prématurée, avec un papier de l'école signifiant clairement son échec scolaire, nous avons été pris dans les jours qui suivirent mon appel....
Manon a alors été vue en famille, puis seule... à plusieurs reprises... Nous y sommes allés trois fois en tout, sur quelques mois...
Pour cette première entrevue, jean-Phi et moi étions seuls avec elle, mes parents étaient venus garder les filles. Les grands parents étaient au courant de notre décision, de ce qu'on soupçonnait. Ils ne nous ont jamais empêché de faire quoique ce soit. Ils ont été atttentifs, mais très dépassés par les termes employés et la tournure des évènements. Ils aimaient Manon, avaient avec elle un rapport fort et privilégié. Elle était très attachée à ses papis, les couvrait de bisous, chahutaient avec eux... c'est avec son papy du Havre qu'elle adorait lire des livres et regarder les dragons chinois que celui-ci mettait en photo dans son bureau... c'est avec son papy d'Agen qu'elle a appris à nager dans la piscine familiale, en confiance, et avec tout le temps qu'elle espérait.... Pour eux, Manon était tout sauf autiste... elle ne craignait pas les calins, elle était aimante, attentive... un comportement autistique n'induisait-il pas un cloisonnement émotionnel, un refus du toucher, une peur du contact??? tout était confus... Manon avait des signes "autistiques", mais qu'à l'extérieur de notre cellule familiale... pourquoi ne réussissait-elle pas à être notre Manon à nous partout????
Je n'attendais pas vraiment une mauvaise nouvelle, je n'étais pas partie avec mes certitudes comme la fois où j'avais franchi les portes du camps... je me retrouvais face à un mur : l'école. Il fallait que l'on puisse certifier que Manon était apte à apprendre dans la filière scolaire normale... par un avis médical. Je n'avais pas le choix. Et l'émission de Delarue avait mis le feu aux poudres... c'était l'occasion de tout mettre à plat.
Manon a passé cette demi-journée de test dans le plus grand silence et la plus grande interrogation. En même temps, nous lui avions expliqué la veille le pourquoi de cette visite à l'hopital, et nous avions insisté sur le fait qu'elle n'y resterait pas, qu'elle repartirait avec nous... Je lui ai juste dit que c'était important, qu'il fallait vraiment qu'elle donne le meilleur d'elle même.
Tout a été très vite, et très bien fait. Les tests psychomoteurs ont révélé comme d'habitude une faiblesse, surtout en psychomotricité fine. Je ne pouvais pas le nier.
Nous devions la faire travailler là dessus.
Puis nous avons parlé de nous, de notre vécu, avec la psychologue. Manon écoutait. La psychologue l'étudiait, sans en avoir l'air.
Elle est allée voir l'ortophoniste... tout allait bien.
Elle est ensuite partie faire un test de Wisk (test de QI)....
Tout ce qui a suivi a dépassé mes espérances. J'étais soulagée, heureuse, fière, et terriblement en colère après moi.
Manon n'était pas autiste asperger. Cela n'avait rien à voir, il a fallu se contenter de cela. Manon a été declarée en difficulté motrice importante, nous avions pour consigne de la faire suivre en urgence. Une psychomotricienne pourrait faire des miracles... je me suis revue des années en arrière, complètement hermétique à la méthode et au prix des séances!!!!
Manon était une enfant très inhibée, en souffrance car très dévalorisée, très bousculée. Visiblement, tout allait trop vite dans ce monde de brutes!!!! Elle perdait les pédales, et rentrait dans sa coquille, uniquement hors de chez nous... là où elle perdait ses repères, ses protections. Manon vivait dans un cocon familial trop sécurisant. Il fallait qu'on l'aide à en sortir. Pour son bien.
Manon avait un QI élevé : le test écrit avait été fait en totalité, Manon avait totalisé un résultat de 117, ce qui était très bien à leurs yeux... elle n'avait pas voulu répondre à la partie orale, elle se mettait les doigts devant la bouche et regardait au sol... c'était dommage car cela aurait été plus significatif et impressionnant d'après eux. Elle avait une mémoire d'éléphant, elle retenait tout très vite... Selon eux, elle avait tout appris par coeur au niveau du CP de septembre à avril et s'était écroulée fatalement par saturation... il fallait maintenant que le déclic opère. Elle avait tout en elle. Contenu... c'était inconcevable.
Nous sommes partis de l'hopital avec un autre regard sur notre fille. rien n'a plus jamais été pareil. J'ai arrêté de douter de ses compétences et j'ai été vigilante à toute appelation de "débile" qu'on lui collait sur le front... Manon a dû le sentir, elle a été plus confiante avec moi. Elle venait faire ses devoirs sans crainte le soir et elle me disait sans cesse : "t'es fière de moi, maman; tu m'aimes?"... elle prenait plaisir à me montrer tout ce qu'elle savait faire et moi j'étais ébahie. Ma fille était dévérouillée.... ma fille était douée... et je l'ai ignoré pendant six ans....
Ce fut un vrai miracle... une vraie renaissance... tout a basculé depuis et nous avons pu mettre une croix définitive sur toute suspicion d'autisme...
Nous n'avons pas pu donner suite aux séances de psychomotricité que l'hopital nous conseillait pour début septembre... nous avons déménagé l'été 2003 pour Le Havre...
l'hopital nous avait conseillé de lui doubler son CP. Sa maturité psychologique n'allait pas de pair avec son potentiel d'apprentissage. l'un bloquait l'autre. Il fallait donc qu'elle se sente "au dessus" des autres, en confiance, pour déployer ses ailes... Nous avons écouté... et Manon a su lire dès le 1er jour de sa rentrée en deuxième CP...

la visite au Camps

Je n'ai pas le souvenir précis de la date, mais je n'y suis pas allée en début d'année 1999, car Zoé a occupé tout mon temps, quel bonheur!!!!
Je me revois juste partir avec Manon en poussette-canne, calée, renfrognée... un énième rendez-vous où sa maman l'amenait, persuadée d'enfin comprendre le mystère appelé "Manon"....
si seulement elle avait su me dire... m'expliquer qui elle était...
Il faisait beau... Le camps était à 15 min à pied de chez moi (le centre d'aide médico-psychologique, aussi appelé CMPP)... dans le quartier de la pelouse de Reuilly, de la piscine... je n'avais pas envie de passer par en haut, par la coulée verte... j'ai donc longé laconiquement le boulevard Diderot et la rue de Reuilly.... Des milliers de choses me traversaient l'esprit, comme si j'étais en train de vivre mes dernières heures d'innocence : "profite, ma belle, dans quelques minutes on va t'annoncer que ta fille n'est pas tout à fait comme les autres..."
J'ai toujours été spécialiste en scénario catastrophe! je vois toujours le pire avant le meilleur... toucher le fond pour mieux taper du talon et remonter... une bien drôle façon d'être et de penser...
Jean-Phi était resté avec Julie. Je ne voulais pas traîner ma blondinette dans cette structure lourde et certainement... lente... je ne savais pas du tout ce qui m'attendait...
Je suis arrivée et on m'a de suite dirigé vers une salle d'attente... Manon est sortie de sa poussette et ne bougeait pas. Elle est restée sur mes genoux. Nous n'étions que les deux seules personnes statiques et silencieuses. D'autres enfants erraient, sautillaient, gémissaient... se tapaient sur la tête avec la paume de la main... leurs yeux étaient "vides", ils ne me voyaient pas... les parents présents les ramenaient vers eux quand cela devenait pénible... mais en vain... certains criaient et semblaient avoir mal quelque part, recroquevillés dans un coin de la pièce... un petit se traînait au sol, ses jambes raides, son corps si frêle... c'était très dur à voir et je n'osais rien dire à leurs parents... ces personnes semblaient si fatiguées. leurs yeux ne cherchaient pas les miens, leurs mots étaient faibles et répétés envers leurs enfants... comme si c'était inlassablement le même refrain ; "viens ici, assieds-toi, calme-toi".... je crois que je commençais à comprendre.
Manon est alors entrée dans une pièce et j'ai suivi... la psychologue était souriante, âgée, rassurante. "Alors, vous venez pourquoi Madame?"
J'ai alors raconté la naissance de Manon, sa longue évolution, nos doutes, nos peurs, puis sa rentrée scolaire... j'étais très négative et je ne montrais rien de positif. J'étais sûre d'un verdict pessimiste. Je ne cherchais qu'une confirmation de ce que je croyais être vrai. Elle a alors regardé Manon, sur toutes les coutures. Elle lui a demandé de marcher droit d'un point à un autre, de la regarder, de venir voir un petit livre, de tenir un petit crayon... j'étais attendrie et triste. Manon me donnait mauvaise conscience à chaque regard pointé vers moi, comme si elle me suppliait de la sortir de là...
Puis nous avons parlé de son quotidien, de sa vie, de moi....
Et j'ai entendu cette psychologue me dire posément : "Votre fille n'a rien, madame. La personne qui vous a parlé d'autisme n'a certainement jamais fait un tour dans cette salle d'attente. C'est déplorable que quelqu'un puisse enseigner avec de telles lacunes... Manon est très inhibée, timide, lente... elle a besoin qu'on lui montre les choses pour bien les faire, qu'on l'aide un peu.... C'est de la confiance en elle et... en les autres dont elle manque....Avez-vous la possibilité d'avoir une aide scolaire dans cette classe ?" je savais que non. Des jumeaux prématurés étaient dans cette même école, je connaissais bien la maman. le petit garçon allait bien mais sa soeur était suivie à l'extérieur de l'école, dans uns structure spécialisée... Pour déclencher l'obtention d'une aide, Il faut un "handicap avéré"... Une "suspicion" ne suffit pas, même quand c'est difficilement mesurable... en tout cas, Manon n'entrait dans aucune case: pas assez "atteinte" - heureusement -, mais suffisament "spéciale" pour nécessiter une attention...
La psychologue a poursuivi : "il faut lui trouver une activité où elle se sente valorisée, pour son estime de soi... que voyez-vous?"
Le sport était la dernière chose à faire, son manque de souplesse, d'assurance, en faisaient une petite fille casanière et renfermée. Le graphisme était sa bête noire, elle peinait à tenir un crayon longtemps, trop de pression dans les doigts, trop de tension, et cela rendait le geste maladroit et insupportable pour elle... la coordination n'était pas son fort...
J'ai alors pensé à l'outil informatique. Nous avions des jeux éducatifs à disposition, julie adorait cela, mais nous n'avions pas encore testé Manon là dessus...
Jean-Philippe était très à l'aise en info et réparait tout ce qui traînait... c'était sa formation de base, et sa passion avant tout... je savais qu'il prendrait plaisir à l'initier... il était plus patient que moi. Et Manon avait beaucoup de son flegme.
j'ai promis de l'aider à tenir un crayon, des ciseaux, à enfiler des perles, pour améliorer sa psychomotricité fine... et la psychologue m'avait aussi dit de ne jamais la mettre en situation d'échec, de la flatter sans cesse, et de recommencer plus tard s'il le fallait...
Un très bon conseil, la flatterie, merveilleuse technique...
Je suis repartie soulagée, heureuse, prête à prendre tous ces défis à bras le corps...
Mon coeur de maman avait eu raison... Manon allait bien... j'aurais dû m'en douter... si seulement il n'y avait pas la pression sociale, l'école, le moule dans lequel il faut rentrer.... j'aurais pu passé à côté de tout cela.
L'année de maternelle qui a suivi a été un régal. Son instutrice avait entendu parler de Manon et avait réclamé à l'avoir dans sa classe. nous avions sympathisé lors des fêtes scolaires et de mon bénévolat à la bibilothèque de l'école... elle avait une formation en psychologie et était très douce, très gentille... Manon a pris beaucoup de plaisir à apprendre avec elle en deuxième section. Je suis restée quelques années durant en contact avec cette gentille institutrice. Je lui suis très redevable. Ce qui prouve que tout est une question de loterie, on peut tomber sur quelqu'un de bien, ou pas, pas qu'à l'école d'ailleurs.... mais, hélas, c'est encore valable aujourd'hui. J'ai ainsi dû faire face par la suite à toute sorte de jugement... j'ai à nouveau consulté pour suspicion d'autisme - version Asperger - et là, aussi, ma fille n'entrait pas dans cette "case".... elle a 10 ans aujourd'hui, elle va très bien...je l'aime fort.... et si c'était à refaire, je ne changerais absolument rien!

Manon, en ballade, avec Zoé et son tonton qui lui apprend la trottinette...
sa démarche de toujours: sur la pointe des pieds et les pieds "en dedans"

lundi 12 février 2007

l'année 1999

L'été 1998 avait soldé deux années de crainte, d'angoisse, par rapport à des séquelles motrices que je m'étais mises en tête... j'étais regonflée à bloc... des projets pointaient leur nez alors que je n'en avais plus depuis deux ans... je peux assurer que ma fatigue est partie alors que je ne croyais plus redevenir la femme dynamique que j'avais été avant...
J'ai réfléchi à un changement de cap professionnel... j'étais en congé parental encore pour un an... je ne savais pas du tout si j'allais ré-intégrer au terme de cette parenthèse "maman à plein temps"... et je crois que je couvais gentiment l'envie d'avoir un troisième enfant...
L'idéal était de mettre un autre congé parental au bout de celui de Manon... il fallait que cela mûrisse entre Jean-Phi et moi... et j'avais la trouille de revivre un accouchement prématuré... je devais mettre toutes les chances de mon côté...
En septembre 1998, j'ai fait les démarches pour devenir assistante maternelle agréée, la seule profession qui est autorisée en congé parental... J'avais été sollicitée par des mamans à la sortie de l'école de Julie, l'idée avait fait son cheminement... et il fallait mettre du beurre dans les épinards....
Manon était en forme, sa nouvelle autonomie la rendait joyeuse, participative... nous avions encore des crises de petite fille contrariée, des rituels à gérer... c'était futile et rentré dans nos habitudes... Nous avions appris à vivre avec ces détails... à les accepter même, car Manon semblait plus à l'aise quand on rentrait dans son jeu de rigueur et de sérieux... rien n'était fait au hasard.... et ce n'était que le début de l'affirmation de son caractère intraitable, méthodique, soigné, appliqué... Manon a toujours tout fait au pied de la lettre....
Nous avons décidé de mettre un bébé en route après mes 30 ans, en mars... je n'ai jamais eu de difficultés pour tomber enceinte et je connais ma chance... le scénario s'est répété une troisième fois. Le début de ma grossesse a été estimé au 10 avril 1999... Notre bébé naitrait à l'aube de l'An 2000... j'étais heureuse, étonnée, et j'avais en même temps une peur intérieure constante, un stress quotidien... Mon généraliste m'avait donné l'adresse d'une gynéco très réputée dans le quartier de la Gare de Lyon et elle a su trouver les mots pour me rassurer... D'emblée, elle m'a dit que je devais me reposer, qu'elle me mettrait en congé dès la fin juin... je gardais une petite fille à la journée depuis 6 mois, ainsi que son frère après l'école... cela n'a pas posé de soucis pour les parents qui allaient se débrouiller l'été avec les mamies et enchaîner sur sa rentrée scolaire...

Manon en 1999

Je commençais à me dire que la roue tournait, finalement... qu'après la pluie, le beau temps... J'avais écouté mon coeur et attendait beaucoup de cette grossesse, de cet accouchement, de cet enfant... J'avais besoin de reprendre confiance en moi. je ne pouvais pas rester sur une naissance si violente et traumatisante. Cela peut paraître égoïste. Certains pourraient dire que j'avais besoin d'un bébé "pansement"... ce n'est pas totalement faux. Cependant j'attendais aussi beaucoup de cettre fratrie à trois... je ne supportais plus ce schéma à quatre où Julie était réservée pour son père, et Manon pour moi... j'avais liée avec Manon une symbiose destructrice... c'était l'amour fou et on pouvait se détester tout autant... Tout était fait dans la démesure entre elle et moi... Je ne pouvais plus être autant aliénée à cette petite fille si attachante qui ne vivait qu'à travers moi... Je voulais retrouver ma personnalité d'avant, ma liberté, ma vie légère et insouciante... ce bébé allait nous permettre d'avancer, nous en étions persuadés...
La grossesse a été ponctuée de petits tracas : une pyélonéphrite en mai, et des contractions à la fin de l'été... mais très honnêtement, cela n'avait rien à voir avec celle de Manon. Je portais ce bébé plus haut, je n'avais jamais pris autant de poids...
J'étais suivie à la Pitié Salpétrière par un professeur spécialisé dans les grossesses difficiles dès le mois de septembre... J'étais très bien entourée...
Manon a commencé à perdre sa joie de vivre vers le mois d'août.... je devais la rendre propre pour sa première rentrée scolaire... Je savais que cela serait chaotique. Manon se retenait toute la journée et attendait la couche de la sieste, ou de la nuit... c'était incroyable. jamais une fuite. Manon ne l'aurait pas supporté et aurait hurlé de voir cela couler le long de ses petits mollets... c'était sa hantise. Et je voyais bien que cela lui occupait l'esprit, la stressait...
Sa rentrée scolaire me faisait peur... je la voyais triste, elle parlait peu, je ne pouvais pas savoir ce qui se passait dans sa petite tête. Manon a commencé à vraiment parler durant cette année 1999, mais tout était monocorde, travaillé, appliqué... Nous avions remarqué qu'elle apprenait par coeur des répliques de ses dessins animés préférés, et elle les ressortait quand elle estimait que c'était le bon moment... On se mettait à table, elle disait "bon appétit mes amis!!!"... on lui donnait quelque chose, elle murmurait un "je te remercie maman"... alors que le mot "merci" à lui seul aurait suffit... elle avait très peu de langage, elle n'avait pas trois ans, mais quand elle parlait, c'était toujours construit, aimable... bien longtemps après, nous avons entendu le mot juste par un psychologue qui lui faisait un test d'évaluation : Manon avait un langage chatié... c'était bizarre. On se demandait si elle comprenait vraiment ce qu'elle disait. Ca ne collait pas dans la bouche d'une si petite fille... et les phrases du langage courant n'étaient pas acquises... elle se trouvait muette face à des consignes simples comme "tu vas mettre tes chaussons," et elle était plus passive qu'impliquée dans nos échanges... il faut dire aussi que Julie parlait pour deux!!!!
J'avais décidé de ne la mettre à l'école que le matin, comme j'avais procédé avec sa soeur âinée... Sa rentrée a été très émouvante. Je dois dire que je ne suis pas une fan des jours de rentrée des classes, même encore maintenant!!! Je ressens une certaine déchirure à me séparer d'elles, à les voir transies derrière leur cartable plus gros qu'elles, à regarder leurs yeux interrogateurs et anxieux... je me projète des années en arrière probablement. Je détestais le jour de la rentrée. Je craignais l'autorité trop forte d'une nouvelle maîtresse. J'avais peur d'être placée à côté de quelqu'un que je ne connaissais pas... Je crois que je n'ai aimé la rentrée qu'à partir du collège.
Manon est allée directement s'asseoir sur le banc placé en face du tableau. L'école était petite, Julie y entamait sa dernière année de maternelle. je connaissais bien les lieux. Manon ne tombait pas sur la même institutrice que Julie avait eu pour cette première section... c'était une nouvelle enseignante, très enjouée, d'une quarantaine d'années... Je n'avais pas décidé de dire quoique ce soit sur Manon, je perdais un peu ce côté parano qui consistait à déballer ma vie avant même qu'on me demande quoique ce soit....
Manon était si petite à côté des autres, si maladroite. Sa démarche était encore si mal acquise, si hésitante. Elle marchait sur la pointe des pieds et légèrement en dedans. Je ne pouvais pas la faire marcher vite et il y avait un escalier à monter et descendre pour aller à sa classe, j'espérais fortement qu'elle ne s'emmêle pas les crayons... je me faisais des scénarios catastrophes, du genre: "et si elle est poussée par le flot d'élèves dans l'escalier?"... je rentrais chez moi la peur au ventre... son petit regard de chien battu en mémoire...
J'ai trouvé un certain repos durant ces matinées sans mes filles. j'en profitais pour m'allonger, j'approchais de la fatidique 28ème semaine et j'avais peur de la fatalité, du déjà vu... en fait, je me suis inquiétée pour rien...
Manon a commencé à vivre sa scolarité dans un mutisme total. C'était comme un pantin que j'amenais le matin et que je reprenais vivante à midi... Nous allions chercher les petites sections directement à la porte de la classe, chaque enfant accourait à la vision de sa maman... pas la mienne... elle était sur le bout du banc, prostrée... elle regardait la maîtresse et sursautait dès que celle-ci disait "Manon, maman est là!"... cela me faisait mal au coeur... je me disais qu'elle devait vivre avec une tension nerveuse toute la matinée... cela me faisait mal...
Je prenais régulièrement le soin de demander à la maîtresse si Manon se comportait bien en classe... Elle soufflait généralement un "bof" en souriant, entretenant un air sympathique pour ne pas que je me braque contre elle... je tentais de prendre cela avec recul et amusement... jusqu'au jour où cela ne m'a pas amusé du tout... Je suis d'un caractère timide et je n'aime pas le conflit... je respecte énormément le travail des instits et je ne veux surtout pas rentrer dans une polémique absurde... ce n'est pas le but... je reste persuadée que j'étais juste en face de quelqu'un qui ne comprenait pas ma fille, qui n'avait aucune envie de le faire, et qui vivait dans un monde sans timides, sans maladroits, sans prématurés....je lui avais d'ailleurs jeté un mot sur la naissance de Manon vers la Toussaint, afin de lui permettre d'être moins sévère avec Manon et plus indulgente... j'ai juste eu droit à un "Bon, elle est prématurée et alors? Pourquoi n'est-elle pas dans un établissement spécialisé?"... Je n'ai pas étendu le sujet. Il ne valait mieux pas.
Je suis donc devenue moins conciliante ce fameux midi où j'ai récupéré Manon avec mon gros bidon... c'était le mois de décembre 1999. Les vacances de Noël approchaient. Nous étions tous heureux d'agrandir la famille. Manon ne comprenait pas trop ce que cette "petite soeur" voulait dire concrètement... mais elle ne tarderait pas à le savoir...
Ce midi là, tous les enfants avaient confectionné un sapin de Noêl sur un papier cartonné, coupé par leurs soins, bariolé à souhait... Toutes les mamans disaient "oh comme c'est joli, on va le mettre dans le sapin!!!"... j'attendais que Manon sorte, toujours en dernière, peu friande de la foule... elle restait en retrait... Elle est arrivée et je lui ai dit "tu n'as pas ton sapin ma puce? " et comme elle ne répondait pas, la maîtresse m'a lancé sans tact "oh bah elle n'a pas su le faire, elle tient mal ses ciseaux, elle est lente,pffff.... j'ai autre chose à faire que de m'occuper d'elle vous savez... il faudrait vraiment que vous consultiez en urgence, pour moi, elle est autiste. elle doit sortir du système scolaire normal.".... J'étais pétrifiée, j'avais une boule dans la gorge. Manon était tremblante et elle a senti mon malaise. Je suis partie sans rien dire. J'étais bien nouille. Si cela se produisait aujourd'hui, je vous assure que cela ne se passerait pas de la même façon. J'ai pris de l'aplomb et je suis devenue solidaire de ma fille. Personne ne doit dire de telles choses sans savoir, personne... c'est trop grave.
J'ai reçu cette information enceinte de 8 mois , et j'ai eu mal partout. Je suis rentrée chez moi par le marché d'Aligre, l'école était située la rue juste derrière cette fameuse place.
Le petit vendeur attendait Julie pour sa banane et je ne l'ai même pas vu... Julie me parlait, inquiète, elle voyait bien que je pleurais...
Je suis arrivée chez moi et j'ai craqué. Je me suis assise sur mon canapé et Manon était dans un coin de la pièce, silencieuse. Je pense qu'à l'époque, je ne m'inquiétais pas pour son psychisme, je restais convaincue qu'elle n'avait pas compris ce qu'avait dit sa maîtresse... j'avais tort... Manon a toujours tout compris... c'est bien là le problème...
Je n'ai donc pas pris la peine de la rassurer, de lui expliquer avec ses mots... elle voyait encore sa mère pleurer, à cause d'elle, et rien n'était dit... je contenais ma peine et je sentais mes forces me quitter...
J'ai appelé Jean-Phi le midi même. J'ai toujours eu ce réflexe, l'appeler, entendre sa voix, pour qu'il m'apaise. Il a été choqué et m'a promis de prendre un rendez-vous au CAMPS du 12ème, dès que possible... que je ne devais pas m'en faire... que cette maîtresse n'avait pas réfléchi à l'ampleur du mot "autisme", et que je devais me calmer...
J'ai repris ma route de future maman... le stress avait eu des conséquences, les vacances scolaires tombaient le lendemain de ce choc, et... j'ai accouché de Zoé le 24 au matin...
L'anxiété n'a jamais été mon alliée... Zoé a su me ramener à l'optimisme et à l'envie de me battre, aux côtés de Manon... Ma fille n'était pas autiste, non... je le savais au fond de moi, mon coeur de maman le savait... Même si ça restait à verifier...
Malgré tout, cette année 1999 s'est terminée dans un grand bonheur... Zoé est toujours notre plus beau cadeau de Noël à ce jour....

Avec papa, à la fête de l'école

samedi 10 février 2007

les deux premières années de Manon

J'ai volontairement choisi de mettre en avant ces deux années car elles ont été les plus dures pour moi... avec le recul et les années qui ont passé, j'ai l'impression d'avoir manqué l'essentiel (profiter de ma fille), tellement la fatigue et la confusion étaient présentes....
Je ne pouvais pas savoir que ce serait aussi éprouvant... mais en même temps, heureusement! Sinon jamais je n'aurais pris mon rôle de maman si à coeur à partir de ce 13 novembre 1996!!! Il valait donc mieux que je sois gonflée à bloc... pour la suite des évènements...
Manon n'a jamais respecté les trois heures d'attente entre chaque biberon... tu parles!!!! J'ai passé des journées et des nuits à me demander si j'allais en finir un jour avec les pleurs, les biberons à répétition qui finissaient en rejet systématique, le sommeil par tranche de 30 minutes dont seule Manon avait le secret... même le silence la réveillait!!! Nous étions parvenus à une décision absurde qui consistait à la faire dormir dans son relax la journée, bien à plat, dans un lange, au beau milieu de la salle à manger!!! Elle semblait y être rassurée, apaisée par nos bruits, notre quotidien: même Julie et sa tendance à chanter toute la journée ne la perturbait pas!!!...
Je suis sûre que le bruit permanent des machines de la néonat devait faire partie de son quotidien... du coup, elle se sentait perdue dans notre appartement si calme... nous avons donc composé avec ce système les deux premiers mois...
Les rejets ont vite mis une pression sur mon moral... je n'avais pas loué le pèse-bébé comme je l'avais fait pour Julie (ce qui me fait bien sourire aujourd'hui, Julie était née à terme avec un poids de 2,92Okgs!!!!), et je flippais quant à la prise de poids de Manon... Tout partait systématiquement sur mes genoux et sur la housse de notre cher fauteuil poang [ikea], qui en reçut des litres de lait!!!! La nuit je m'asseyais sur ce même fauteuil, allumait MTV pour ne pas m'endormir, Manon buvait lentement... l'hiver était là... j'étais en chemise de nuit, le bras endolori par ce petit bébé si raide qui une fois calé ne bougeait plus et m'engourdissait... nous n'avions pas eu le temps de mettre de rideaux à la grande baie vitrée de la salle à manger... en face un immeuble abandonné avait été vite pris d'assaut par des sans-papiers en novembre... chaque nuit je voyais le même jeune homme me regarder donner le biberon depuis la fenêtre d'en face... seule la rue nous séparait... lui devait trouver du réconfort à voir une maman nourrir son bébé, et moi je me disais que j'étais bien chanceuse d'etre au chaud et en famille par rapport à lui, même avec le risque de vomissement qui survenait presque à chaque fois!!.... Donna Lewis entonnait son "I Love you, always, forever" chaque nuit vers 3 heures du mat, les programmations musicales étaient souvent en boucle sur MTV... je chantonnais ces douces paroles à ma petite poussinette qui me regardait fixement en têtant....
La veille de Noël mes parents sont arrivés de Normandie pour passer les fêtes avec nous... j'ai alors confié à ma mère que je trouvais que quelque chose n'allait vraiment pas... Manon était raide, vomisseuse, et elle pleurait quand je la tournais dans son lit ou dans le bain... L'hopital Trousseau tenait à assurer le suivi médical de Manon mais la visite était encore loin... j'avais eu connaissance qu'une pédiatre très compétente officait dans le quartier... et j'ai tenté le coup, le 24 décembre au matin... j'ai déballé mon sac au téléphone et elle m'a demandé de passer de suite... Cette pédiatre ne se souvient certainement plus de moi ni de Manon, mais je suis toujours heureuse de la voir régulièrement à la télévision sur le plateau des Maternelles .... elle m'a beaucoup aidée.... [Je ne me permets pas de citer son nom]
Manon a été vite diagnostiquée : oesophage brûlé par sa prise de cortisone depuis sa sortie de l'hopital (cela servait d'auto-bloquant pour un angiome qu'elle avait sous le pied gauche), le "clapet" de son estomac ne remontait plus à cause de la sonde gastrique qui l'avait pourtant nourri et elle avait un torticolis congénital qui lui bloquait tout le côté gauche....
J'étais rassurée et en même temps furieuse de ne pas avoir vu que ma fille ne tournait la tête que d'un côté... en couveuse, elle était toujours sur même flan, sinon elle regardait le mur... tout s'expliquait....
Nous avons donc tout repris à zéro... Un ostéopathe a manipulé Manon et j'ai vu ma poussinette se délecter de faire enfin des mouvements souples et rotatifs... le sommeil a commencé à être réparateur et nous avons repris un rythme normal... C'était nécessaire car nous étions épuisés... Julie était en forme dès 7H30 le matin et je devais assurer.... Julie faisait sa sieste sans problème en début d'après-midi, mais Manon dormait peu et je ne voulais pas m'allonger à mon tour, même pour ce court laps de temps.... il y avait trop de linge à plier, de ménage à faire, de repas à préparer...
Je pense que j'enviais secrètement Jean-Phi qui partait chaque matin au boulot... nous étions tous les deux postiers, nous avions passé le concours après la fac... je connaissais son quotidien et quand il rentrait le soir pour me parler guichet, clients, comptabilité, je pensais à ma vie d'avant et je me demandais si un jour je redeviendrais celle que j'étais... la fatigue ne partait jamais même après que Manon fasse ses nuits complètes... je n'étais pas épuisée que physiquement, je l'étais moralement...
Je sortais chaque jour faire mon tour de marché rue d'Aligre... c'était une façon de me sentir vivante: ça hurlait, ça grouillait, c'était coloré... Julie avait droit à sa banane quotidienne, nous avions liés amitié avec un vendeur du trottoir d'en face... je pense encore souvent à lui... je suis sûre qu'il est toujours là-bas...
L'après-midi je partais faire la "coulée verte" juste à deux pas de chez moi. J'avais investi dans une poussette double car Julie n'était tout de même pas obligé d'assurer tous les kilomètres que je lui imposais... c'était ma bouffée d'oxygène... cette promenade était un vrai régal... les plantes, le vert, le fait d'être sur-élévés et de ne pas entendre le bruit des voitures... Je croisais de plus en plus les mêmes mamans avec leurs bouts de chou... nous échangions sourires et banalités... c'était peu mais pour moi, c'était le seul côté "social" que ma petite vie de mère au foyer offrait....
Comme toujours, le sujet des mamans tournaient autour de leur progéniture... Julie était sociable, marrante et attirait les commentaires... Manon était plus en retrait et on me disait juste "oh elle n'est pas vieille celle-ci!!!!!"... J'aurais pu et dû mentir... annonçant un "oui, elle a trois mois..." avec un large sourire et passer mon chemin... Mais je ne pouvais pas... Je balançais un tristounet "elle a six mois" et je rentrais dans le récit apocalyptique de sa naissance prématurée, chose que personne n'avait envie d'entendre.... sauf moi... comme pour me l'extirper de mon souvenir à tout jamais... comme pour me soulager d'un poids et d'une culpabilité trop lourds à porter... Je n'étais pas réjouie de voir ma fille évoluer si lentement... je languissais et bouillais intérieurement... J'avais trop de repères avec Julie, trop de souvenirs encore récents d'une maternité épanouïe, d'une petite fille blonde aux yeux bleus qui nous a comblé de bonheur... de par sa présence, son caractère, son affection grandissante... Manon était là sans vraiment l'être... trop sage...J'avais une fonction restreinte de mère nourricière et je n'avais pas d'échanges affectifs, d'étincelle dans son regard si bleu.... Je ne voulais pas l'avouer mais j'étais inquiète, assez torturée... chaque mois était une étape au niveau taille et poids, Manon n'attirait pas l'attention particulière des médecins mais moi je cogitais... tout le temps... et ce fut le début d'une longue traversée du désert...
Cet été là nous sommes partis dans le Sud Ouest chez ma belle famille et dans les Pyrénées... avec les 4 grands parents... Nous avions loué une grande maison de village à quelques kilomètres de Luchon... c'était rustique mais j'étais heureuse de ne plus arpentée les rues de la capitale, de ne pas rester dans mon appartement si chaud l'été...
Manon s'est sentie bien et a passé un super été... La pédiatre m'avait conseillé d'acheter un trotteur pour la muscler, et la forcer à se mettre debout... elle allait à reculons, se propulsait avec les deux pieds, allant ainsi vers de nouveaux horizons... Julie était ravie et la poussait joyeusement... enfin une complicité naissait... c'était inespéré... je ne sais pas pourquoi, Manon a toujours progressé pendant l'été et en particulier quand nous étions en montagne... (bizarrement, c'est une adoratrice de la montagne aujourd'hui et elle voudrait vivre près de la nature plus tard...)
Côté nourriture, on commençait la diversification, les bledi dej le matin... j'avais acheté un baby cook... mes résolutions de mère au foyer qui fait son maximum ne me quittaient pas... j'avais tellement peur de ne pas être à la hauteur...
Manon mangeait bien, très mixé... Elle prenait des rondeurs, et avait bonne mine...
Ce fut pour moi une période de bonheur familial intense... je me reposais, je déléguais... Manon a acquis la position assise en août, à notre retour... elle souriait, réagissait aux pitreries de sa soeur.. j'avais confiance pour l'hiver à venir...

L'hiver en a été autrement... Manon a commencé décembre avec une bronchiolite, de la kiné respiratoire... la bécotide et la ventoline sont devenues nécessaires... Elle essayait de se tenir debout contre les petites tables de salon, le canapé... mais c'était raide, maladroit... la pédiatre me demanda de voir une psychomotricienne. J'ai pris rendez-vous de suite près de chez moi, confiante. La séance s'est faite sans moi... je regardais de loin, de la salle d'attente. Manon est restée assise 15 mns en face de la jeune femme qui empilait des cerceaux sur un petit manche en bois... Manon ne coopérait pas, assise, la bouche ouverte, pétrifiée... La jeune psychomotricienne est venue me voir, les mains dans les poches, et m'a dit "bon bah elle est assez inactive, je pense que vous devriez la stimuler, elle en a besoin. Je vous propose de la revoir la semaine prochaine, on referra une séance de jeux... le fait d'empiler, de structurer, c'est important. En attendant... euh, c'est 300 francs..."
J'étais consciente que Manon avait besoin de stimulation, je ne remettais pas cette parole en doute... j'avais également conscience que 300 francs non remboursés deux ou trois fois par mois était au dessus de mes moyens....nous avions eu une année difficile financièrement.... Je suis donc rentrée chez moi abattue, énervée... je me sentais nulle de ne pas avoir envie de jouer avec Manon comme l'avait fait cette jeune femme... car ce n'était pas faute d'avoir essayé... ce n'était pas comme avec Julie, rien ne "sortait" d'elle... c'était platonique, à sens unique...
Manon semblait détester qu'on l'oblige à farfouiller dans sa caisse à jouets, et comprenait encore moins qu'on s'asseoit en face d'elle et lui tende dix mille trucs bruyants et encombrants... j'avais vite admis son manque d'intérêt et avait fini par déclarer forfait...
Je ne suis donc jamais retournée voir la psychomotricienne... je n'en suis pas fière... Je me laisse dire que mon moral psychologique et financier ont pris la décision pour moi....
Manon a abordé le printemps 98 avec un caractère pleurnichard, coléreux et tyrannique... On ne pouvait pas la contraindre à faire quelque chose qui sortait de l'ordinaire... Il suffisait que je me trompe de biberon le matin pour déclencher une crise: pour elle, il devait être jaune; ou que je lui change de dessin animé pour faire plaisir à Julie qui en avait marre de voir toujours le même (car Manon regardait toujours la même chose, des dizaines de fois de suite, inlassablement)... tout était prétexte à colère et prise de tête... je m'accrochais avec elle. Je jouais le jeu de la maman ferme qui ne revenait pas sur sa décision et qui n'allait pas se laisser faire... Le problème est qu'à ce "jeu" elle fut plus forte que moi....
Manon ne cédait pas et entrait dans des colères noires qui me desarmaient de plus en plus... j'en arrivais à redouter de sortir manger chez nos amis. Manon ne supportait plus d'être en dehors de chez elle... elle ne mangeait que mixé et je n'avais pas envie d'être jugée par l'entourage... je ne disais rien quand le steak frites arrivait...je laissais Manon s'adapter, Julie en avait été capable, pourquoi pas elle?... pourquoi ne la comprennais-je pas? Toujours est-il que l'incapacité de Manon à affronter le moindre imprévu a commencé à se révéler... et à nous pourrir la vie.
Les rituels ont ponctué de plus en plus son quotidien. Elle menait une vie réglée et ne voulait pas qu'on la sorte de ce cocon -ridicule à nos yeux- qu'elle tissait autour d'elle... Je passais mes journées à essayer de lui faire prendre des "risques" : changer de dessin animé le matin, changer l'heure du bain, manger des morceaux, accepter de sortir en poussette dans la foule sans se crisper et hurler dès qu'une voisine osait lui dire bonjour...
Je ne sais plus à force... c'était pourtant, il me semble, trois fois rien, mais si important à ses yeux...
Elle s'énervait après Julie qui était pourtant bonne poire : elle lui apportait tout ce qu'elle voulait. De mon côté je l'obligeais à faire un effort, à se lever, à marcher, même à quatre pattes, rien n'y faisait... Nous étions en conflit permanent. je passais mes journées à la pousser dans ses retranchements... Jean-Phi rentrait le soir et j'étais épuisée, aux bords de larmes... j'avais l'impression de mener un combat chaque jour contre une tête de mûle qui n'était pas démonstrative... Je n'avais aucun calin de sa part et quand je la suppliais de m'expliquer ce qui n'allait pas, de n'importe quelle façon, un "non" de la tête, un "aïe" pour me faire comprendre que ce que je lui demandais était douloureux, un "oui" de consentement... rien ne venait jamais, hormis des pleurs, des cris... Je commençais à pleurer le soir dans mon lit quand elle était couchée... Je l'aimais pourtant si fort... C'était insupportable de passer des journées entières à être en conflit avec elle... je n'arrêtais pas de dire à Jean-Phi que ce n'était pas normal, que j'avais l'impression de ne pas avoir la notice qui allait avec cette petite poupée si mystérieuse... Je ne réussissais rien de bien avec elle. Nous n'avions pas de moments de joie suffisants pour nous en rappeler. Seules les crises marquaient nos esprits, notre relation...
Je me suis confiée à une amie très proche qui me connaissait depuis longtemps... J'ai commencé par lui dire que Manon n'était pas normale, que je sentais au fond de moi qu'elle n'était pas comme les autres... Ma peur de la prendre en grippe me hantait et je m'aperçevais que je me levais le matin avec une boule dans le ventre... je ne pouvais plus assumer un quotidien pareil...
Manon écoutait... je parlais de cela sans même m'apercevoir qu'elle était toujours à deux pas de moi... je ne sais pas pourquoi j'ai manqué de vigilance à ce sujet...
je l'explique juste par le fait qu'elle était comme "éteinte" pour moi... ce qui revenait à dire qu'elle ne faisait pas attention à moi, à mes pleurs, à mes paroles de desespoir déversées à des inconnus sur son compte... elle était invisible pour moi, inexistante... au niveau de la compréhension bien sûr... j'ai commis une énorme erreur en pensant une telle absurdité... Manon a toujours su que je pleurais à cause d'elle, que je m'inquiétais pour elle, que je racontais en boucle sa naissance et que je commençais à regretter d'avoir eu un deuxième enfant... elle n'a jamais montré le moindre intérêt, elle a toujours fait comme si de rien n'était...
J'ai longtemps eu du mal à me pardonner la façon avec laquelle j'ai agi à cette époque... Manon a dû souffrir atrocement d'être l'éternel "sujet qui perturbe" la famille, d'entendre sa mère dire avec desespoir à quiconque croisait son chemin qu'elle n'arriverait à rien avec son caractère... que c'était une coléreuse, une tyrannique et qu'elle prenait volontairement son temps pour marcher comme pour m'empoisonner la vie...
Je le dis et l'affirme aujourd'hui : Manon ne pouvait pas se construire avec une telle négation de ma part, une telle intolérance...
Sa colère était justifiée : elle ne pouvait pas faire autrement... elle souffrait et hurlait sa douleur... elle était enfermée dans un corps mollasson et coincé... son mental était très fort, très doué... mais totalement en décalage avec son physique...
Elle attendait mon aide mais je n'ai pas interprété cela comme de l'impatience et de la souffrance de sa part... mais comme des caprices purs et simples.
L'entourage au sens large du terme n'a pas aidé à me convaincre du contraire. Manon était sortie d'affaire pour tout le monde, sauf pour moi qui vivait avec elle chaque jour. Je me plaignais aujourd'hui de son caractère difficile mais j'avais plus ou moins récolté les fruits de mon attitude de mère couveuse, sur-protectrice et étouffante... On ne me le reprochait pas, on savait trop que j'avais risqué de la perdre...on trouvait juste que cette petite avait su tirer bénéfice de sa "naissance"... et en faisait voir de toutes les couleurs à ses pauvres parents...
Je ne disais rien, j'acceptais cette analyse... car entrer dans le débat qui consistait à faire admettre que quelque chose "clochait" chez cette enfant était peine perdue... les très proches refusaient d'entendre, quand on commençait à prononcer des mots comme "séquelle", "autisme" ou "handicap"... je n'avais personne à qui me confier et trouver écho...
Jean-phi restait optimiste: toujours ses "on verra bien plus tard, faut attendre"... attendre, patienter... pas pour moi, plus pour moi...
Fin juin 1998 je suis retournée voir un ostéopathe. Un ami était venu nous présenter sa future femme à la maison. Elle était kiné. Elle s'est permis de me dire que ma fille ne pourrait jamais marcher avec une telle position des pieds... et que sur son conseil, je devrais aller voir ce fameux ostéopathe, en plus à deux pas de chez nous, de sa part... c'était, d'après elle, un faiseur de miracles...
Je n'avais plus rien à perdre. J'étais en phase de renonciation et de préparation au handicap. Le médecin que j'avais vu en visite à Trousseau m'avait dit que si elle ne marchait pas après cet été, il faudrait penser à envisager des séquelles lourdes..; j'avais le moral dans les chaussettes... j'étais en colère contre le monde entier, contre la fatalité, contre moi qui avait mis au monde cette petite fille dans cet état...
La séance fut longue et surprenante. Un profil de Manon a été dressé : caractère, peurs, fragilité, goûts culinaires... Il était calme et très posé. J'étais très impressionnée. Il a manipulé Manon et a même réussi à en apprendre plus sur elle que j'avais bien voulu lui en dire, rien qu'en la touchant... j'étais bluffée.
Il m'a prescrit une dose unique d'homéopathie à lui donner le soir-même et m'a recommandé de lui donner du pyrogenium en cas de fièvre et du lycopodium en cas d'état fébrile... Puis il m'a serré la main et m'a dit la plus belle phrase qu'un "médecin" puisse me dire : "elle va marcher dans le mois qui suit"... nous étions fin juin...
En juillet nous sommes partis en vacances en Ardèche chez des amis très proches. Nous avons passé des moments formidables, Manon était pleine d'entrain et prenait des risques... elle avait toujours ses pleurs avant de s'endormir. Elle ne connaissait pas cette maison et détestait son lit parapluie. Mais je réussissais à ne pas me mettre trop en boule contre elle... et je n'entrais pas dans son jeu...
Le 12 juillet 1998, nous étions en train de nous préparer à regarder la finale de la coupe du monde, comme tout le monde... Nous étions dans l'appartement de nos amis, en plein Aubenas, sous les toits... il faisait chaud. nous avions passé l'après-midi à la piscine. Nous étions joyeux, affamés et nous étions devant un coca à bavarder de tout et de rien... Manon est alors arrivée vers nous en marchant... Mon amie, Loulou, a crié: "Véro, regarde Manon: elle marche toute seule!!!!"... j'étais sans voix... Manon riait aux éclats et recommençait l'exploit en levant les bras au ciel dès qu'elle s'arrêtait... elle s'immobilisait pour faire son demi tour et hop, elle repartait... je me suis mise à pleurer de bonheur, de soulagement... Laurence m'a prise dans ses bras... Jean-Phi était euphorique et cela a augmenté avec le résultat du match!!! La France était champion du monde de football.... Ce soir là, les klaxons ont chanté toute la nuit dans les rues d'Aubenas... je n'ai pas fermé l'oeil une seule fois... Cet élan de joie dû à la victoire était vraiment bien tombé cette nuit-là... ce fut la plus belle nuit depuis la naissance de Manon....

ça y est, maman, je marche !

vendredi 9 février 2007

la néonat : 15 septembre - 13 novembre 1996

Cette période semble aujourd'hui être extérieure à l'histoire de Manon. Je ne l'ai pas franchement souhaité, je l'analyse simplement comme une volonté inconsciente de mettre cela dans un coin de ma tête destiné aux chocs de ma vie... C'est une faculté que je ne commande pas mais qui m'a permis de passer au delà de ce que je qualifie de "traumatisme"... d'avancer, et de ne pas rester bloquée sur quelque chose de vicéral, qui me boufferait à petit feu...
Je vais donc tenter de me souvenir des moments marquants, mais j'ai bien peur de ne pas retranscrire la vraie émotion de l'instant... de paraître détachée... prenez cela comme une évolution, une maturité, une acceptation... et non comme un refus de revivre ces deux longs mois...
C'est arrivé il y a plus de dix ans... le temps a fait son oeuvre...
Manon est allée directement à l'hôpital intercommunal de Créteil, en réanimation... Je me suis réveillée le lundi matin à la clinique avec un petit mari aux petits soins, tout content d"arriver avec ce polaroïd de notre "petite crevette"...


il était émerveillé, et l'informaticien qu'il était commençait à me parler de technologie, de fils, de sonde gastrique, et de médecine géniale qui s'acharnait à sauver de si petits bébés... Je regardais ma fille et ma première pensée fut "elle doit avoir mal, je ne vais pas supporter de la voir souffrir"... et je ne savais pas si je devais être émue ou abattue... c'était comme une grosse révélation, une prise de conscience... voilà ce avec quoi nous devions composer aujourd'hui... et tout ce que je savais, c'est que je ne devais compter sur rien, marcher sur des oeufs, l'aimer très fort mais aussi envisager de la perdre.... c'était irrationnel, comment envisager une telle chose?
Je ne l'ai jamais envisagé... je le sais aujourd'hui...
Je suis allée la voir l'après-midi même, avec douleur... mon corps était meurtri. j'avais été recousue de mon épisiotomie "à froid"... dans tous les sens du terme... j'avais eu les courants d'air de la porte de sortie qui servait au Samu, j'avais ressenti la fuite de l'effet de l'anesthésie, et j'avais eu comme des frissons nerveux suite à la violence de la naissance... j'étais dépouillée de tout... plus de bébé, plus d'équipe médicale rassurante... juste ma gynéco qui continuait de ronchonner et de me descendre le moral... je ne retiendrais d'elle que cette phrase assassine parmi d'autres : "Ne vous attachez surtout pas à elle, ces bébés meurent généralement dans leur première semaine de vie..."...
Je suis arrivée à Créteil avec une certaine appréhension, et pourtant j'avais vraiment besoin de la voir... Julie était là, accompagnée par la maman de Jean-Phi qui avait sauté dans le premier TGV le matin même... prenant en main la gestion de la maison, de Julie... et de Jean-Phi....
Je me suis retrouvée habillée de la tête aux pieds par des "vêtements" anti-bactéries, je me suis lavée les mains dans le sas et j'ai mis un masque sur ma bouche... et la porte s'est ouverte. C'était sombre, il y avait un long couloir et des vitres qui servaient de cloisons pour des dortoirs d'enfants rattachés à la vie... Je suivais l'infirmière et je ne regardais pas les bébés, j'attendais qu'on me donne le signal... qu'on me dise "voilà c'est elle"... car je ne pouvais absolument pas la reconnaître... tous ces bébés étaient recouverts par les fils, les sondes,les pansements... le bruit des machines masquait le moindre gémissement... et il faisait une chaleur étouffante... maladive....
Je me suis assise devant une couveuse et l'infirmière m'a dit "Voilà Manon, elle est superbe, c'est un exploit 1,100kgs à ce terme!"... j'étais effarée qu'on puisse la trouver belle et "rondelette"... Mais en même temps, cette jeune infirmière avait raison... ma fille était d'un poids correct, inespéré... et je ne le voyais même pas... je ne voyais rien, j'avais les yeux humides et j'avais trop chaud... Tous mes repères de maman partaient en fumée, je ne pensais qu'à des futilités comme "comment je vais réussir à la prendre dans mes bras sans la casser? réussira -t-elle à prendre un biberon un jour? Quand vais-je la ramener à la maison?"... tout se bousculait.
L'infirmère a devancé mes craintes et a sorti Manon de la couveuse, triomphante de me dire qu'elle respirait seule et que cela aussi, c'était fabuleux!!!!... Jean-Philippe a pris cette "petite poupée" sans peur et me l'a donnée de suite dans les bras... ce fut un moment de bonheur immense et de grand désespoir à la fois... j'étais pétrifiée et malheureuse d'avoir été incapable de la garder neuf mois dans mon ventre... j'ai parlé à voix basse et je lui ai dit de me pardonner d'avoir flanché avant elle... de ne pas avoir eu la force de poursuivre le combat à deux... que c'était à elle de livrer bataille maintenant et que j'étais sûre que tout se passerait bien... que je l'aimais fort, comme son papa, et qu'elle avait une grande soeur qui léchait la vitre côté visiteur à l'autre bout de la pièce, perchée dans les bras de sa mamie....
Les jours suivants sont flous... volontairement... car je suis sortie de la clinique définitivement le lundi soir et je suis rentrée chez moi très fatiguée...
Nous déménagions le 1er octobre pour un appartement plus grand en plein 12ème arrondissement et rien n'était prêt... je passais mon temps à dormir, à tirer péniblement 10cl de lait et je me rendais en réa chaque jour...
J'avais pris pour habitude d'appeler chaque soir l'hopital avant de m'endormir et chaque matin en me levant... rituel rassurant...
Manon fut transférée au bout de 8 jours à l'hopital Trousseau, toujours en réa... c'était mieux pour nous car nous allions habiter dans ce même arrondissement...
Rien ne semblait empêcher la lente progression de Manon... tout allait bien...
Une hémorragie de l'uterus est venue m'affaiblir en arrivant début octobre à notre nouvelle résidence... je n'ai pas pu voir Manon pendant deux jours, clouée au lit... Jean-Philippe a pris des jours de congé et mes parents sont venus prendre la suite pour garder Julie...
Manon est alors sortie de réa, pour intégrer la néonat dans un autre batiment... Tout a été vite, je crois qu'on était vers le 5 octobre... je ne sais plus exactement....
Tout m'a paru alors moins médicalisé et plus facile... Nous prenions nos marques. Nous venions en décalé Jean-Phi et moi, pour rester avec Julie. La famille avait été très présente et d'un grand soutien mais chacun devait reprendre son travail. Ils n'étaient pas en retraite. Leur attitude a été généreuse, ils se sont donnés tous les 4 pour nous faciliter le quotidien, le déménagement, les courses, le bricolage... je n'étais jamais là et j'étais inaccessible... incapable de prendre une décision concernant la déco ou le rangement... je pense même que si la salle avait été repeinte en jaune fluo, je ne l'aurais même pas vu immédiatement!!!!....
Ils ne posaient pas de question, ils vivaient au rythme des annonces de poids quand je rentrais le soir... les 10 grammes journaliers suffisaient à chacun pour se rassurer, s'émouvoir, s'attendrir... Julie était incroyablement mature et vivait sa vie de petite fille de deux ans avec innocence... je ne travaillais plus, c'était ce qui l'enchantait... maman était à la maison... pour toujours, comme elle me le demandait si fébrilement....
La famille a dû souffrir autant que nous mais nous ne l'avons pas vu, ni su, sur le moment.... La maman de Jean-Philippe eut une pancréatite deux ans après la naissance de Manon et ma maman a eu un anévrisme cinq ans après... Chacune a alors parlé du souci qu'elle se faisait pour cette petite fille née trop tôt et combien elles avaient souffert de nous voir Jean-Phi et moi affronter cela... Elles disaient sans cesse "vous ne méritiez pas cela"... mais qui peut mériter une telle chose? Personne.... et la peur du handicap les habitait... "nous ne voulions pas vous faire peur, mais c'était si dur de vous voir chaque jour partir à l'hopital voir cette petite fille en souffrance... nous ne pensions pas vivre cela un jour..."...
Mais, en fait, je pense que Manon a tout de même été une sacrée veinarde par rapport à ses petits copains de chambre... Je rentrais chez moi le soir avec beaucoup moins de peine que certains, je peux le dire aujourd'hui...
Manon a tout de même pris son temps pour tout... grossir, grandir, évoluer... la période de néonat a été ponctuée de frayeurs et de grands exploits...

Un jour de plus en neonat...

Le canal artériel de Manon a été déclaré ouvert un beau matin où nous arrivions à l'hopital... toujours persuadés de vivre une autre journée assis face à la couveuse, alternant calins, soins, décriptage de la machine prenant son rythme cardiaque et visites des infirmières devenues coutumières... Manon était absente, en écho cardiaque... Nous avons dû attendre son retour dans le couloir et nous n'avons pas voulu craindre une mauvaise nouvelle... j'avais l'habitude de desamorcer mon stress en allant parler avec une jeune infirmière qui s'occupait de Manon et qui avait un faible pour Julie... nous avons bavardé de nos filles comme deux mamans normales et j'ai attendu que Manon revienne...
Nous avons été convoqués de suite par le professeur qui avait fait l'écho de Manon... J'ai entendu parlé de canal artériel ouvert, d'opération, de possibilité que cela se referme tout seul, de maladie bleue... de vie normale malgré cette maladie, de chose courante... et nous sommes sortis... abasourdis...
Manon était revenue dans sa couveuse et je lui ai pris la main pour lui expliquer ce qui lui arrivait...
Le soir même, je suis allée me documenter sur cette fichue maladie bleue et j'ai appelé la famille pour que chacun trouve un mot apaisant à me dire et stoppe ma nervosité...
Nous avons dû vivre avec cet épée de Damoclès jusqu'à la sortie de Manon car le canal s'est refermé une semaine avant qu'elle ne quitte l'hopital... pour notre plus grand bonheur....
Manon est sortie en permission le 11 novembre... jour férié, nous étions tous les 4, c'était un moment tant attendu et espéré...
J'avais préparé sa chambre pendant les courts moments dont je disposais à la maison et j'étais heureuse du résultat... il me tardait de lui montrer son petit lit, ses peluches, le bleu et le jaune de sa déco, le thème marin, les murs blancs, la frise... une vraie gosse...
Les infirmières étaient ravies pour nous et ne s'inquiétaient pas trop pour moi, j'étais la seule à être déjà maman dans le service... j'avais un côté apaisant et une figure d'experte qui leur convenait bien....
Manon avait été sevrée et devait normalement se caler sur des tétées espacées de trois heures... j'avais tout de prêt à la maison. La sur-médicalisation de Manon m'avait même fait entrer des "tocs" de propreté à la maison... je traquais tout avec mon desinfectant en pulvérisateur... je passais l'aspiro tous les jours.... je lavais mes mains tout le temps... Julie pouvait à peine toucher sa petite soeur....
Nous avons passé une merveilleuse journée, il faisait beau... le quartier d'Aligre vivait comme toujours au rythme de son marché et de son effervescence parisienne... j'étais heureuse, j'avais ma famille au complet... mon appartement me semblait alors moins terne et j'ai commencé à m'y plaire... la vie reprenait enfin son cour... nous étions enfin réunis et tout cela était derrière nous maintenant...
Ce fut un déchirrement de la ramener le soir, et le 13 novembre, nous avons dit au revoir pour de bon au service de néonatologie de l'hopital Trousseau...nous avions noué avec ce service des liens étroits mais je n'y suis jamais retournée par la suite... c'était une page définitivement tournée pour moi...
Manon a alors commencé sa petite vie parmi nous... elle pesait 2,700kgs... n'avait aucune séquelle grave.. et nous avions la vie devant nous pour l'aimer et lui faire oublier cette période si troublée....
La décision de prendre un congé parental s'est alors imposée à moi... nous n'avions plus la merveilleuse nounou de Julie dans ce nouveau quartier... et personne d'autre n'aurait pu faire aussi bien qu'elle... nous avions fait nos comptes et avions compris que les frais de garde pour deux enfants non scolarisés allaient être conséquents et qu'il valait mieux que je reste à la maison et perçoive l'allocation parentale d'éducation...
C'était un choix évident, que j'espérais fortement... ma fille m'avait tellement manqué, nous avions du temps à rattraper ensemble... Julie avait su se mettre de côté pendant deux mois et je voulais chouchouter cette petite blondinette si étonnante que je n'avais pas élevée.... d'autre part, le psychologue de l'hopital m'avait scrupuleusement glissé à l'oreille une "vérité" avant que Manon ne regagne notre domicile : "Madame, je sais que vous allez couver cette petite prématurée, on n'aime jamais trop un enfant, là n'est pas la question... seulement n'oubliez pas la première, elle a besoin de vous aussi"
J'ai gardé cela en mémoire et j'ai essayé de faire de mon mieux...
De toute façon, après ces deux mois à vivre rattachée à un "fil", je ne pouvais que prendre ma vie en mains et balayer toutes mes idées reçues, mes rêves de carrière et mes concepts sur la vie...
Je ne le regrette vraiment pas aujourd'hui....

jeudi 8 février 2007

Septembre 1996

Ce matin de mi-septembre 1996 était chaud, ça, je m'en souviens comme si c'était hier...
Tout simplement parce que je venais de déposer ma première fille, Julie, chez la nounou, pressée dans mon élan derrière ma poussette canne, le sac à langer en bandoulière, j'avais déjà pris une bonne suée...il était 6h45... J'avais 27 ans...
Ma salopette rayée, déjà bien délavée par ma première grossesse, me semblait bien inconfortable ce jour-là...
J'avais couru sur le quai pour choper mon RER... et j'étais encore ratatinée contre un costume-cravate qui faisait deux têtes de plus que moi (chose très facile vu ma taille!!!)
Bref, c'était ma routine lorsque j'étais de la brigade du matin... [jargon postal: brigade=équipe] Je devais être à la gare de Lyon à 7h20, marcher vite jusqu'à l'avenue Ledru Rollin et passer le sas du bureau...
J'avais une demi-heure avant que les habitués de l'ouverture du bureau ne foncent sur mon guichet... j'étais pliée en deux par le mal de rein, j'avais une apesanteur lancinante dans le bas-ventre, mais rien d'étonnant après un tel début de journée....
Je savais que j'avais ma visite chez le gynéco l'après-midi même... je n'étais pas inquiète. Je réalise que je ne l'ai jamais été... bizaremment...
La matinée de travail a été similaire à toutes les autres... j'ai servi mes clients, j'ai pris un café avec mes collègues... Comme d'habitude, j'ai râlé après ma chef d'équipe qui me demandait de faire un retour tri cette semaine parce que je ne pouvais pas prétendre à mes facilités de service... [encore du jargon postal: je parle des heures de repos pour les femmes enceintes qui n'étaient, dans ce bureau, qu'accordées en fonction de l'activité, soi-disant, trop importante, ce jour-là]... j'ai fait ma caisse au changement de brigade à 12h en me souciant guère de la tenue de mes timbres, je re-verai bien cela le lendemain...
J'ai fait un bisou à tout le monde, j'ai arpenté la rue de Charenton avec peine... la gare de Lyon me semblait bien loin ce midi-là... mais Julie m'attendait...
Je suis arrivée à Noisy le Grand avec cette douloureuse impression d'avoir une boule de pétanque dans le bas ventre, et une ceinture trop serrée au niveau des reins... C'était bizarre mais je ne m'inquiétais pas vraiment... Je me souviens avoir demandé à mon mari, Jean-Philippe, de préparer le repas, je me suis allongée comme une loque sur le canapé... Julie est allée à la sieste et moi je suis partie chez le gynéco, il faisait très beau... le cabinet se trouvait à deux pas de chez moi, près de la zone commerciale au dessus du RER...
Si on m'avait dit que c'était la dernière fois que je traversais cette zone commerciale... que c'était la dernière fois que je portais cette salopette rayée bleue digne de Coluche, (elle est allée à la poubelle directe après l'accouchement!!!)... que c'était la dernière fois que je travaillais au guichet de mon bureau de Poste... que c'était la dernière fois que je voyais certains collègues,... que c'était la dernière fois que je voyais mon gynéco...
Jamais je ne l'aurais cru...
Et pourtant, après cette consultation du sixième mois de grossesse, rien n'a été pareil...

Le soir même de ce 5 septembre j'ai fait ma valise pour la clinique Armand Brillard de Nogent sur Marne... tout avait été très vite... j'avais tout juste compris que j'avais le col ouvert... mon gynéco s'était précipité sur son téléphone et avait réservé une chambre dans le service où il exerçait (et où j'avais accouché de ma première fille...)
J'avais osé dire "vous savez , docteur, je peux me reposer à la maison, ce serait mieux pour ma fille..." Je n'ai pas eu le temps de finir que déjà il fulminait et pestait contre ce constat d'échec... J'ai cru entendre un agacement de sa part "mais qu'avez-vous fait dernièrement bon sang??"... que fallait-il comprendre??? Que travailler derrière un guichet à 30 min de RER de chez soi c'était tout à coup devenu un problème? Ou que tout cela arrivait sans que je ne sache pourquoi et sans que j'en sois l'entière responsable?
Je crois que je n'ai jamais su ce qu'il aurait fallu dire pour être innocentée...
Je suis donc partie pour la clinique. J'avais appelé avant mes parents, mes beaux-parents, avec les larmes aux yeux et la ferme intention de sortir dès que j'aurais franchi la fameuse 36ème semaine... j'étais complètement à côté de l'ampleur du problème... ça n'a pas loupé ce jour-là...
J'ai été placée dans une chambre double. En face de moi, une jeune femme attendait la naissance de son premier enfant, conçu par FIV... elle avait atteint la 32ème semaine et prenait cet alitement plutôt bien... j'étais bien loin de ce modèle de zénitude et de rigueur...
J'ai passé dix jours difficiles, allongée, sans pouvoir me lever même pour la toilette, avec une perfusion douloureuse... j'avais les jambes surélevées, mais je ne voyais pas mon ventre prendre une belle rondeur rassurante, au contraire...
Le dimanche 15 septembre, j'étais épuisée, et j'avais mal partout... le salbutamol a été augmenté dans la perfusion et j'ai senti en moi comme une surdose de caféïne... un vrai tambour dans la poitrine... une incapacité à me sentir bien dans aucune position que ce soit...
J'ai senti que je lachais prise et que je donnais mon consentement à mon bébé de venir... je n'avais plus la force de lutter... c'était comme une renonciation... dont je ne suis pas très fière aujourd'hui... car je reste persuadée que le psychologique a une incidence énorme sur le physique....
Jean-Philippe était là avec Julie... le soleil inondait la pièce surchauffée... Noura, la nounou de Julie, est arrivée en début d'après-midi avec les bras chargées de patisseries tunisiennes... une vraie maman... une adorable femme...
Je feignais de bien aller mais ça empirait... Noura a dû le sentir... Jean-Phi a appelé l'infirmière et tout le monde a dû sortir... la gynéco de garde ce jour-là est arrivée, furibonde... Le verdict est tombé. Le bébé allait naître ce soir... Un vrai silence de mort a envahi la chambre et ma petite voisine m'a regardée avec tristesse... c'était devenue une amie, une confidente...
Noura est revenue me prendre la main.... On m'a mise sur un fauteuil roulant... jean-Phi ne parlait pas, il n'arrêtait pas de me frotter l'épaule, nerveusement....
Julie posait dix mille questions, apeurée de me voir dans "une poussette pour maman!"... Noura nous a regardé tous les trois, a demandé à Julie de venir dans ses bras et m'a dit "je la prends à la maison, ne vous en faites pas, elle restera le temps qu'il faut".... j'ai souri, soulagée... nous n'avions pas de famille sur Paris... j'étais incapable de prendre une décision rationelle, comme appeler une mamie en province... j'étais ailleurs... je n'arrivais pas à pleurer, à hurler de douleur, à partir dans tous les sens en délire... j'étais incroyablement calme et Noura me parle encore de cet immense sourire que j'ai eu en entrant dans l'ascenseur qui descendait aux salles d'accouchement, assise dans mon fauteuil roulant... c'était si bizarre de paraître si enjouée dans une pareille situation...
Noura m'a dit par la suite que c'est ce sourire qui a décidé pour toute la suite des évènements... je me rattache à cette jolie phrase depuis cette naissance précoce... survenue à 23 heures, le 15 septembre 1996....

Je suis restée en salle d'attente presque deux heures, avec le monitoring en fond sonore... et la douleur constante dans le bas des reins et du ventre... à chaque fois que la ceinture du monitoring se resserait, je mordais ma main pour ne pas crier...
Je suis quelqu'un qui n'extériorise pas... pas de cris, de grosses larmes... j'ai écouté le flot de recommandation de la sage femme, une antillaise adorable, Yvette... et j'ai attendu qu'on me dise enfin vers 21h que plus rien ne pouvait arrêter le bébé, il fallait y aller..cela faisait près de 12 heures que je souffrais, tordue depuis le matin, à chercher une position relaxante, un soulagement... en vain... j'étais très fatiguée...
La gynéco de garde n'était que la collègue de celui qui m'avait suivi et envoyé ici,hélas... elle était très énervée, en rogne contre moi... ce n'était pas un accouchement souhaitable dans une telle structure... elle a commencé par m'énumérer les séquelles diverses auquelles je devais m'attendre : mort probable du bébé, cécité, dommages cérébraux, handicap sévère, retard mental et psychomoteur... Je ne répondais à rien, j'encaissais... j'avais froid... la péridurale agissait, j'étais comme dans du coton, et je pensais à Julie... je l'imaginais en train de gambader dans le grand appartement de Noura... je repensais à ces deux années de bonheur avec cette petite fille qui avait poussé comme un champignon... je me disais que j'allais avoir une autre petite fille, aussi jolie que la première... qu'on sortirait de mon ventre et qu'on envelopperait vite pour me la montrer... que nos regards allaient se croiser et qu'en un quart de seconde, un bonheur immense m'innonderait... que les médecins allaient m'annoncer que c'était un cas unique, qu'elle était rondelette, et qu'elle respirait de façon autonome.... et que tout allait bien... pas du tout comme dans ce scénario catastrophe très cher à ma gynéco...

Manon est née, elle est tombée dans le sac qu'on lui tendait...
15 personnes du Samu attendaient, elle devait partir pour l'interco de Créteil...
J'ai regardé Jean-Phi suivre les médecins et son visage était aussi ému que lorsqu'il a vu Julie pour la première fois... j'ai ressenti un grand soulagement...
Tout le monde était dans la pièce à côté... j'étais seule et je grelottais...
C'est alors qu'une couveuse est arrivée près de moi, elle était là, toute fine, cachée sous un bonnet péruvien... et je m'émerveillais de voir ses bras, ses jambes, son petit ventre... j'étais sans voix...
Le médecin m'a dit "elle va bien, vous pouvez venir la voir dès demain"....
Et ils sont partis... dans la nuit noire...
Manon pesait 1,100kgs... j'étais à un terme de 28 semaines de grossesse...
Je sais que je suis remontée dans ma chambre et que cette nuit-là, je me suis réveillée toutes les heures en touchant mon ventre et en murmurant "bats-toi Manon, bats-toi..."

Bienvenue

Bonjour !

Bienvenue sur notre blog ...

Nous souhaitons vous faire partager notre expérience avec notre bout de chou prématuré, Manon...

Jenfi et Vero.