samedi 15 décembre 2007

Bilan neurologique

Aujourd'hui Manon avait rendez-vous pour son BCG. Grosse appréhension pour une petite vaccination qui n'a jamais voulu prendre... il paraît que ça arrive... des fois...

Je me suis levée avec un ciel bleu éclatant... la pelouse gelée du jardin reflétait mille petits cristaux quand j'ai ouvert les volets... j'ai jeté un oeil inquiet sur mon olivier, vêtu de son camouflage hivernal, sur mes bambous increvables, sur mes bignones ratatinées... l'hiver endort tout... même mes membres tout juste réveillés... j'ai vite refermé la fenêtre car la chaleur des chambres partaient en fumée... et la douche m'attendait... brûlante, stimulante... la journée s'annonçait bien remplie....

Le rendez-vous chez le médecin était à 10h30, j'avais une chance d'être libérée pour midi... J'ai demandé à Manon de s'habiller vite, car le samedi matin, le pyjama colle à la peau plus qu'en semaine... elle a grimacé en voyant le collant en laine et la jupe en jean ; "oh pourquoi tu me mets ça, maman? j'arrive pas à le mettre, tu sais bien....".... je suis allée la délivrer de ce douloureux machin à enfiler... c'est clair que sans prendre la peine de ramener le collant à la pointe du pied, c'est impossible à mettre... Manon a souri en croisant mon regard qui disait "Forcément, en t'y prenant comme ça, tu en as pour la journée!!!"... c'est le seul jour où je peux l'habiller en "fille". En semaine scolaire, impossible de lui imposer un tel calvaire... surtout quand je lui demande une autonomie totale...

Nous sommes entrées dans le cabinet du docteur à 11 heures. Correct. Rien à voir avec les consultations du soir en semaine, où l'on est censé passer à 18h30, et où l'on franchit le seuil de la porte en tendant une main impatiente vers le généraliste... vers 20h....
Manon était détendue. Il ne l'a pas deshabillée car la chaudière avait rendu l'âme dans la nuit...
La petite piqûre fut rapide et indolore... Manon regardait vers moi, silencieuse...
Je ne viens pas très souvent le voir pour Manon. Elle est rarement malade. Ironie du sort, après tant de soucis quand elle était petite... Le médecin m'a donc proposé un bilan, sur place, poids, taille, forme générale... j'ai abordé ses douleurs récurrentes au mollet... sa difficulté à faire du saut en sport, car toute impulsion la cloue sur place... son incapacité pure et simple à faire du vélo... mon interrogation face au déroulement de sa classe de neige, où le ski sera intense... sa future entrée au collège, et son séjour d'intégration en camp VTT-Canoë...

Il a paru embarrassé. Manon est un cas lourd, complexe. C'est un très bon généraliste, qui a su traiter Zoé avec vigilance et tenacité... m'orientant vers le meilleur gastro-entérologue du coin... et vers un fasciathérapeute incroyablement efficace... je savais qu'il ne prendrait pas une décision sans l'avis médical d'un collègue, neurologue en l'occurence... il m'a donné un mot de recommandation... Manon ne semble pas être complètement responsable des ses incapacités... il veut s'assurer sur l'origine de sa raideur musculaire... savoir si elle est juste comportementale (car mère couveuse, fortes inhibitions, peur du risque...)... même si ses soupçons semblent pencher pour une réelle incapacité physique... que j'ai laissé s'installer depuis son dernier gros bilan en 2003, au CHU de Rouen... pas par négligence, selon lui...mais parce que j'avais envie que le temps fasse son oeuvre...

Le besoin de psychomotricité revient sur le tapis... au galop... et ma peur d'avoir trop attendu m'a gâché un peu la joie de faire la fête cet après-midi avec les petits copains et copines de Zoé... pour son anniversaire... je me suis sentie abattue ce midi, car en moi-même, je vois bien que Manon ne peut pas... et non ne veut pas... les instits de son école qui la connaissent depuis trois ans m'ont tous avoué que Manon était têtue comme une mule, désireuse de réussir, ne supportant pas l'échec.... cela se vérifie dans son niveau scolaire irréprochable... où elle se balade telle une reine... Mais chaque lundi midi, je la récupère ronchon et pleurnicheuse... de sa matinée au stade... soit parce qu'elle se sera épuisée à courir en ayant mal... soit parce qu'elle n'aura pas pu faire le saut en longueur.... soit parce qu'elle n'aura pas pu suivre ses camarades dans les activités collectives, trop intenses, trop violentes, comme le rugby....
Si elle ne voulait pas, elle ne verserait pas de larmes de tristesse et de mise à l'écart... de la part des autres...
Comme elle ne peut pas, elle se sent exclue et montrée du doigt... chose qu'elle redoute, car elle a longtemps été le bouc émissaire, le vilain petit canard...
Je vais prendre rendez-vous, et me préparer à devoir la faire suivre dans la foulée...
Si cela peut lui éviter des moqueries, des vexations, car la prof de sport du collège prendra à coup sûr sa maladresse pour de la flemmardise.... alors il faut que j'accepte le bilan... et le fait que Manon soit exemptée de certains sports...
Elle ne va pas aimer ça, car elle veut être comme tout le monde...
Même si elle sait bien qu'elle ne l'est pas vraiment....

lundi 19 novembre 2007

Accident domestique


Ca peut arriver. C'est ma bête noire. Encore plus depuis que je suis assistante maternelle. J'ai tenté d'investir dans tout ce qui pouvait exister en sécurité enfant (cache-prise, protège-plaque de cuisson, porte froide pour le four, blocs-tiroirs, barrières de sécurité amovible et fixe, produits ménagers et pharmaceutiques inaccessibles....) bref la liste est longue, donc incomplète...
Le petit garçon que je garde est arrivé ce matin avec un bel "oeuf" sur le front, trace violacée d'une chute de la mezzanine de son frère aïné... pour monter, c'est très simple et la planque est trop belle là-haut!... papa et maman peuvent chercher pendant des heures, pff! fastoche pour faire tourner en bourrique!!!! Mais pour redescendre, on fait comment, à deux ans et demi...????? La tête la première voyons!!!!!

Je ne blâme personne, j'ai connu aussi un épisode frontal assez décapant avec Manon....

J'étais en congé parental, je vivais à Paris... Manon avait à peine quatre ans. C'était un mercredi, j'avais mes trois demoiselles à la maison... les mercredis matins couleur grisaille des jours d'octobre étaient plutôt au ralenti... Généralement, les deux plus grandes venaient dans mon lit à peine le signal donné (claquement de porte de papa qui partait au boulot vers 7h30....)... calins sous la couette, chatouilles dans le cou, bisous baveux... Aucune discrétion possible! Zoé ne tardait pas à se faire entendre de sa chambre du fond, déjà bien consciente qu'elle devait tenir sa place... et ne pas être mise à l'écart... Les pieds nus, mes deux têtes blondes partaient alors en courant dans le salon, prenaient place sur leurs petits fauteuils en mousse devant la petite table ronde... la tasse remplie de cacao arrivait, la brique de jus d'orange, le nutella au pain toasté (si si, dans ce sens là, car la couche de nutella ne laissait pas deviner le pain du tout!!!!).... Zoé préférait les bras de sa môman et le biberon lacté de 240ml, avec ses biscuits préférés écrabouillés au fond, à la cuillère, telle une farine épaississante... les fameuses "éditions spéciales" de Lu.... qu'elle affectionne toujours...
Mes filles ont vite compris que le petit déjeuner pouvait s'accompagner d'un épisode de 'Franklin" ou des "trois petites soeurs"... cela permettait de trainailler joyeusement puisque l'école ne bousculait personne le mercredi... tout se faisait dans la lenteur et le côté "cocon" de l'appartement... Zoé me suivait partout, spectatrice gazouillante de ma douche, de mon habillage, de mes crises de ménage... la vie était paisible et douce... j'adorais les mercredis matins...( jusqu'à ce que le collège ne me les pique!!!!!!).....
Le bain était au menu, vers 10h... les filles le prenaient le soir en temps normal, mais à la va-vite... les larmoyants "Maman, je peux rester longtemps et prendre avec moi ma barbie sirène, ste plaît!!!????" ont eu raison de mes mercredis matins.... Rien ne pressait... Bien sûr, elles le prenaient à deux, à savoir Manon et Julie ensemble, histoire de tester la capacité de débordement de ma baignoire, et ma bonne volonté à éponger le sol à quatre pattes!!!!... car il n'y avait pas que barbie sirène comme divertissement aquatique, mais dix mille playmobil et quinze petits poneys rose et violet gorgés d'eau à longueur d'année!!!!.... bien sûr, vous compatissez, car vous savez de quoi je parle....

Un mercredi matin, le bain fut pris, dans la joie et la bonne humeur habituelles. Les babybulles s'étaient joints à la fête, ce qui permettait à Zoé de se hisser le long de la baignoire et de lever les bras pour attraper les joiles bulles réalisées par ses soeurs... énervée de ne rien attraper, si ce n'est un truc collant qui la faisait s'interroger... sur le côté bizarre de ce jeu qu'elle ne connaissait pas...
Julie a toujours eu des idées farfelues, que Manon ne manquait pas d'imiter. Manon a beau être un modèle de prudence, avec Julie, elle suit sans broncher...
Julie est sortie du bain en première, prenant sa serviette au passage, pour s'essuyer vite fait... J'ai enveloppé Manon dans la sienne, la frictionnant énergiquement, car Manon claque facilement des dents... elle a ensuite suivi Julie dans leur chambre commune...
Zoé avait décidé de regarder l'eau s'écouler doucement du bain... je n'étais pas tranquille, Zoé a toujours été plus intrépide et inventive que les autres... je me suis dépêchée de lui sécher les mains, et avant-bras qui avaient tenté une plongée pendant que j'épongeais ses soeurs... j'ai débarrassé la baignoire des intrus en plastique et j'allais fermer la porte... quand un "boum" m'a faite sursauter...
La salle de bain était au fond d'un couloir, qui n'avait que deux fonctions : amener à la chambre de Zoé et celle des deux plus grandes... j'avais un pas à faire pour être dans celle de la petite... quatre pour être dans celle des aînées... trois fois rien...
Je me suis retournée, tenant la porte de la salle de bain pour la fermer... et j'ai vu une forme recouverte d'une serviette de bain, assise dans l'encadrement de la porte.... inerte... Julie est sortie de la pièce affolée, sa serviette de bain encore sur la tête...
"Maman, je voulais pas qu'elle se fasse mal, on jouait à faire le fantôme, et...."
"Chut, calme-toi... je vais lever la serviette, Manon est juste tombée ..."
Manon avait effectivement mis sa serviette sur sa tête... tel un fantôme, elle s'était amusée à sautiller sans rien voir dans sa chambre, faisait un timide 'ouhouh" et avait percuté le chanbranle de la porte, en métal...
J'ai levé la serviette, un peu étonnée de son silence, de son immobilité, et là j'ai crié, bien malgré moi... elle avait le visage, le torse, les cuisses, recouverts de sang... j'ai toujours du mal à réagir au "rouge", au début, comme raménée en arrière, happée par l'odeur sanguine envahissante... Julie a été exemplaire. Elle est partie chercher du sopalin pour que je puisse dégager le visage de Manon... la main tremblante... trop peureuse d'une plaie à l'oeil...
En fait c'était une entaille profonde, qui partait du sourcil juqu"au cuir chevelu, dans le sens de la hauteur... la cause de tout nos émois était plutôt large... il fallait recoudre...
J'ai eu très peur... à cet endroit, ça saigne beaucoup...

Je suis partie avec elle à l'hopital Trousseau, berceau de sa prématurité, endroit maudit qu'elle n'aimait pas fréquenter... elle n'a pourtant rien dit... elle qui d'habitude hurlait devant l'homme à la blouse blanche, de façon systématique et hystérique... pour le moindre regard posé sur elle...
La plaie a été "collée" et non recousue...
Il reste une cicatrice, mais sa lourde frange la cache... et le temps l'estompe peu à peu...
Manon a senti que j'avais eu un blocage, devant son visage en sang, devant son manque de réaction... j'ai dit des choses du genre "ohlala, Manon, répond-moi... Manon parle-moi...!!!!"
Elle m'a pris la main une fois dans la voiture et m'a dit :
"T'as eu peur, maman, t'as pleuré...."
Oui les pleurs étaient mon mode de fonctionnement depuis que je l'avais mise au monde... à chacune de ses souffrances, je pleurais... trop agacée de la voir surmonter tout à ma place... sans que je ne puisse rien faire... à part la regarder...
Manon n'a pas eu d'autres incidents de ce type... heureusement...
Je touche du bois... ce fut ma seule fois aux urgences, pour accident domestique...
Ses soeurs n'ont pas eu besoin...
Mais ça peut être bête, inattendu...
C'était un simple jeu de fantôme avec une serviette en éponge dans un appartement feutré...
Comme quoi, il suffit d'un rien...

lundi 29 octobre 2007

Manèges



Manon m'étonnera toujours. Là où je ne l'attends pas, elle est, et là où j'aimerais qu'elle soit, elle ne veut pas être... contradiction, opposition... je ne sais pas. Disons qu'elle trace sa route, là où elle a envie d'aller. Manon est une petite fille qui prend des risques bien plus grands que ce que son quotidien lui impose... sans s'en apercevoir...
Hier nous avons eu une belle journée d'automne... ensoleillée, douce... le passage à l'heure d'hiver dans la nuit de samedi nous a permis de se lever tôt, complètement en forme dès 7h du mat...(et oui en France, on recule d'une heure fin octobre, et on avance d'une heure fin mars... institution -contestée- pour l'économie d'énergie... ce qui agit bien sur le métabolisme pendant quelques jours et détraque les bébés... c'est ça aussi, être français!)... nous avions annoncé la couleur depuis trois jours... sortie foire de Bordeaux dimanche... youpi, soyons fous... Julie a eu le privilège d'y gouter en avance avec ses amis samedi dernier (petit rappel sur "ma vie de maman")... les intempestifs "et nous alors???" de Manon et Zoé ont eu gain de cause... je ne sais pas accorder un privilège à mon aînée sous prétexte qu'elle a treize ans et que les deux autres iront elles aussi quand elles auront treize ans... le "oui mais moi j'aurai toujours pas d'amis" de Manon m'a crevé le coeur et le "d'ici là on aura encore déménagé et je verrais jamais la foire de Bordeaux moi!!!" de Zoé m'a montré l'ampleur du traumatisme appelé "mutation à répétition"...
Nous voilà donc partis en fanfare... direction le tramway, car se risquer dans Bordeaux relevait du suicide... du risque de tourner en rond en quête d'une place... de voir Jenfi s'énerver et dire "bon j'en ai marre, on rentre!!!"... la sûreté était en un seul mot "transport en commun"... nous avons pu constater que l'idée avait traversé l'esprit de plein d'autres promeneurs, nous avons eu le nez collé sur les vitres et la sensation d'être redevenus parisiens pendant 20mns... Zoé était ratatinée du haut de son 1m25 inexistant... Manon ne décollait pas de près de la porte automatique, trop appeurée de louper la sortie... Julie avait trouvé un petit coin protégé en hauteur et surplombait le flôt de voyageurs... jenfi était à l'autre bout du wagon... et moi j'étais droite, à surveiller mes filles, à côté d'un sexagénère sympathique acoompagné de sa femme et d'un couple d'amis... je lui ai souri... je souris facilement... ça ne coûte rien...
"Vous avez trois filles???"
J'ai hoché la tête.
"Et oui, j'ai pas su faire les garçons... "
"arf.... moi j'ai les deux... la fille m'a fait un petit enfant adorable... le fils ne pense qu'à ses jeux vidéos et il est encore chez papa et maman à 26 ans... alors!!!!"
J'ai rigolé.
"vaut peut-être mieux être seul que mal accompagné???"
"Oui, mais quand même... il dit que toutes les copines qu'il a eu étaient chiantes!!!..."
Il s'est adressé aux filles en souriant :
"Et vous, vous êtes chiantes les filles????"
Un "noooooooooonnnnn!!!" a raisonné, timide pour Manon, hilarant pour Julie, offusqué pour Zoé.
C'était un gentil monsieur... qui nous a dit avant qu'on descende "amusez-vous bien à la foire les filles!!!!"...
J'aime les conversations furtives... celles qui prouvent encore qu'on regarde son voisin, celui qui marche à côté de vous, qui vous jète un sourire... trop de gens se méfient, ne vous regardent plus...
La foire était gigantesque, bruyante. Manon regardait en l'air avec des "waouh" toutes les deux secondes... elle traînait... Zoé me tenait la main, Julie scotchait son père... J'ai demandé à Manon de ne pas trop flâner car la perdre là-dedans, c'était l'horreur absolue... ma peur bleue... ma phobie du kidnapping... elle a pris ma main mais pour vite la délaisser...
Julie avait une bonne connaissance des manèges présents et avait bien pris soin de faire baver sa soeur avec ses expériences d'ados en mal de sensations fortes... Je souriais et me disais que de toute façon Manon ne se risquerait jamais dans de telles "essoreuses à salade"... j'étais loin du compte... elle a accompagné Julie dans un bidule tournoyant et rapide à peine sorti des autos-tamponneuses!!!!
J'étais verte. Jamais je ne monterais à bord d'un tel truc... mais bon... je devais me contenir et ne pas la freiner... Jenfi me regardait du coin de l'oeil et attendait que je m'oppose... non, je me suis conduite en maman confiante... j'ai regardé le tour de manège et j'ai pris sur moi... même si des fois je croisais son regard affolé et la voyant bondir plus que les autres... comme pressée comme un citron... chahutée...
Manon est surprenante. Elle a peur de composer un numéro de téléphone et de parler dans le combiné mais monte dans un manège à grande vitesse... elle a récidivé avec deux autres "instruments de torture"... suivant son aînée avec joie... Julie était fière d'elle... Zoé n'avait pas l'âge, ouf, car là, mon coeur aurait lâché...!!! Nous avons passé un très bon après-midi... Manon est revenue ravie... un peu sonnée, courbatue... mais pleine d'entrain...
Je suis toujours loin de prévoir ses réactions... elle change tellement en ce moment...
Elle prend des risques là où je ne l'attends pas...
Depuis ce matin, elle joue à rollercoaster sur son ordi, et revit sa journée d'hier...
Elle raconte à Zoé combien ça allait vite et combien ça aurait été dangereux pour elle... Zoé lui dit "quand tu auras treize ans comme Julie, bah on ira ensemble, tu me tiendras???"...
"bah oui, j'ai pas peur moi, je ferai attention à toi, t'inquiètes pas...."
Trop mignon, ma Manon qui materne et rassure...

Des photos et un récit different vont suivre sur Jenfiblog... pour les curieux...

mercredi 17 octobre 2007

Réunion scolaire

Tous les ans, nous y avons le droit. Trois semaines après la rentrée, un petit mot dans le cahier de correspondance nous propose cordialement de venir s'informer du déroulement de l'année scolaire de notre chère tête blonde... c'est normal, conseillé et apprécié. Je suis généralement celle qui s'y rend, et de préférence seule... je refuse d'amener ma fille, soit-disant désireuse de me montrer son bureau, sa jolie classe, son travail soigné (!!!)... alors que cinq minutes plus tard, elle me laisse en plan et part courir dans les couloirs avec les autres bambins de sa classe tout aussi desintéressés... calculateurs sont nos enfants... mais sur ce point, je ne cède pas. Je pars seule et j'écoute avec discipline le contenu du programme scolaire...
C'est toujours marrant d'arriver cinq minutes avant... de saluer les visages connus, de s'asseoir à la place de son enfant en jetant un oeil à sa dernière évaluation bien mise en évidence... de s'apercevoir que les enfants dénoncés perturbateurs et bavards ont des parents à leur image!!!
Ce sont ces mêmes parents qui discutent entre eux et n'écoutent rien... qui râlent après les devoirs insuffisants et qui réclament des punitions plus sévères (depuis quand l'école doit-elle faire le rôle d'éducation des parents????)... qui demandent à ce que la classe de neige soit bien de quinze jours (surtout pas moins!!!) car cela leur fait des "vacances inespérées et attendues de pied ferme"!!!!.... Je m'amuse de voir le maître se sortir des pires situations car bien sûr, même s'il s'agit d'une réunion d'information générale, il y a toujours un parent qui en fait une affaire personnelle et parle du cas de son rejeton pendant toute la séance...
Pour la réunion scolaire de Manon, faite ce jeudi dernier, j'ai encore eu la panoplie complète de ce que je viens de décrire... j'étais bien placée, Manon est dans l'allée centrale... j'ai pris note de toutes les nouvelles réformes en matière de soutien scolaire, de préparation à l'entrée au collège... j'ai souri en entendant le sempiternel "il n'y a pas assez de devoirs" et je me suis sentie mal d'entendre un père de famille traiter sa fille de "fainéante" et "d'incapable" devant tout le monde... jamais je ne me permettrais de rabaisser autant mon enfant, même s'il était en difficulté scolaire... le maître a d'ailleurs remis les pendules à l'heure et a souligné le fait qu'un enfant à qui l'école proposerait un "PPRE" (programme de suivi scolaire) ne devait être en aucun cas considéré en situation d'échec par son parent... c'était le sujet qui fâche... nous avions les résultats des évaluations nationales de CM2 et suite à cela, un soutien était proposé ou pas, pour chaque élève...
Manon n'en aura pas besoin... elle passe son temps à me ramener des évaluations taxées d'un Acquis bienfaisant et valorisant... elle se sent à l'aise et ne rencontre pas d'obstacle... j'en suis rassurée et fière... car Manon n'a pas du tout abordé la primaire avec succès et zénitude... je dois dire que je suis assez surprise d'une telle réussite et je ne manque pas de la féliciter et de l'encourager... la flatterie est son moteur... nous ne l'oublions pas et nous faisons en sorte de nous informer de tout ce qu'elle fait...
Je suis restée en retrait pendant toute la réunion. Tout a été abordé. je n'avais pas de questions particulières. Les parents sont partis... seule une maman et moi-même sommes restées, désireuses de parler en privé à l'enseignant qui n'a pas pu s'empêcher de dire "ah! les deux mamans des petites filles les plus timides de la classe ont attendu que la foule parte pour ouvrir la bouche... "... et oui, les chiens ne font pas des chats!!!!
J'ai laissé commencer la maman de G., assez inquiète tant par le retrait de sa fille, que par ses résultats scolaires... je connais le petite fille en question et était étonnée de voir qu'elle était autant en souffrance, d'après les dires de sa maman...
Le maître a alors profité du sujet "timidité" souligné par cette mère de famille pour basculer vers moi, tout doucement.
"Oh vous savez, Manon est aussi timide que G.... mais elle change beaucoup et cela ne veut rien dire... "
Et là il me regarde et me dit triomphant.
"Tenez, miracle, Manon me sourit et me parle à la récré maintenant!!!!"
J'ai sursauté, interrogative.
"Non, impossible????... vous savez, elle vous aime beaucoup, elle se sent bien dans votre classe, je tenais à vous remercier d'avoir su aller vers elle..."
Il a souri.
"Ne me remerciez pas, je suis heureux de la voir comme ça... vous savez, je n'ai rien à redire sur son travail scolaire, elle est irréprochable... à part son côté un peu brouillon, tout va bien."
J'ai acquiescé.
"Oui, je suis très contente de la voir se débrouiller ainsi... c'était juste au sujet du sport que je voulais vous voir... notamment pour la préparation à la classe de neige..."
Il a sauté sur l'occasion.
"Oui, elle n'aime pas trop l'endurance, ni le rugby!!!! elle se met les bras devant le visage quand on lui envoie le ballon... et crache ses poumons en courrant!!!! mais bon, c'est pas grave, je la connais... elle râle tellement en sport!!!!..."
"Oui, elle est très râleuse quand elle n'aime pas... ceci dit, je voulais vous signaler pour la classe de neige qu'elle ne sait pas faire du vélo... au cas où vous feriez du VTT..."
"Ah bon????"
"elle est déjà montée sur des skis mais va à trois à l'heure..."
"?????"
"Et elle a un souffle au coeur et de ce fait court très lentement..."
"Ah il faut effectivement me prévenir de tout cela... pour le vélo, c'est bizarre non, à son âge???"
"Oui, c'est dû à sa grande prématurité... elle souffre d'hypertonie musculaire... tout doit rentrer dans l'ordre vers la puberté... "
Il a paru étonné.
"Mais je ne savais pas qu'elle était prématurée... vous faites bien de me le dire, c'est incroyable... c'est une enfant très attachante... elle vit dans son monde, elle me fait rire car elle ne parle que de ses dragons.... à ce propos, dites-lui de continuer à amener ses livres de dragonologie à l'école... elle réussit à rompre la glace avec les autres enfants grâce à sa passion et elle en tire une confiance en elle nécessaire à son épanouissement... c'est bien..."
J'étais contente d'entendre cela.
"Oui, elle trouve souvent un moyen détourné pour aller vers les autres..."
"C'est pas grave, l'essentiel est qu'elle y parvienne... les autres la prennent un peu pour un singe savant... c'est très marrant, elle est très intello..."
"Oui, vous croyez que ça ira pour la classe de neige???"
"Oui, ne vous faites pas de soucis, je doserai ses efforts... et puis j'étais avec elle en CE2 pour la classe verte, il y a deux ans, c'est la seule qui nous a accompagnés en rando jusqu'au cirque de Gavarny, je m'en souviens très bien, elle nous avait épatés!!!"
Je me suis souvenue de cette sortie dans les Pyrénées qui avait fait l'admiration des accompagnateurs. Manon avait marché sans rechigner avec son sac à dos et ses chaussures de rando toutes neuves... sans râler... jusqu'au bout... laissant ses camarades de classe un peu plus bas en pause pique-nique...
Je lui avais demandé à son retour, étonnée, mais émerveillée.
"bah alors, manon, je comprends pas? Tu es une casanière, tu ne bouges pas de la maison, et là, tu as marché longtemps en pleine montagne sans te plaindre????"
Elle avait paru surprise que je lui demande une telle chose et avait répondu, fidèle à elle-même.
"bah oui, tu sais bien que j'adore les Pyrénées, maman, je voulais voir le paysage de là haut!!! Et puis tu sais, moi je veux vivre là bas plus tard et avoir un patou..."
Manon a une peur panique des chiens et a le vertige dès le premier étage d'un immeuble, j'ai failli m'étouffer en entendant cela!!!
"Tu sais qu'un patou, c'est un gros chien des Pyrénées, un Saint Bernard quoi???"
"oui je sais, j'ai acheté une carte postale avec sa photo dessus avec mon argent de poche, regarde!!! et j'ai même pris un petit patou en peluche au monsieur qui est venu nous vendre des souvenirs au chalet!!!"
C'était vrai. Elle avait fait tout cela...
Manon est un mystère et un grand bonheur. Une petite fille fragile et robuste à la fois.
Je suis revenue à la maison après cette réunion scolaire avec un doux sentiment de légèreté dans le coeur... un bonheur simple et une envie de la serrer tout contre moi...
Je suis arrivée à la maison... tout le monde était en haut, soit à la douche, soit devant son ordi, soit devant un bouquin... le repas était prêt en bas, les bougies étaient allumés dans le salon, les lampes tamisées rendaient tout orange et feutré... j'ai posé mon sac et du bas de l'escalier j'ai dit.
"Manon, prépare tes fesses, j'ai deux mots à te dire!!!!"
Elle savait que je revenais de cette réunion. Elle s'est précipitée en haut de l'escalier, m'a dit timidement "pourquoi maman, qu'est-ce qu'il t'a dit????"... elle est arrivée, les cheveux ébouriffés d'avoir mis son haut de pyjama avec une délicatesse maladroite...
Elle s'est plantée devant moi.
"C'est quoi les deux mots que tu as à me dire, maman????"
Je l'ai attrapée, elle a mis ses bras autour de ma taille et a posé sa tête de côté contre ma poitrine... j'ai déposé un gros bisou sur le haut de sa tête, posant alors ma tête sur la sienne et j'ai dit...
"je-t'aime!!!- voilà les deux mots que j'avais à te dire ma puce...."
Et nous sommes restées comme cela quelques secondes, sans rien dire...
Elle savait que j'étais très, très... fière d'elle...

vendredi 5 octobre 2007

Superstition

Hier soir j'ai revu "Million dollar baby", un film de Clint Eastwood, celui du fameux "Mo Cuishle !"... j'aime beaucoup cette histoire, qui pourtant au départ, ne me bottait pas sur le papier ... cet acteur n'a jamais fait partie de ma filmographie variée... Il est pourtant devenu l'un de mes réalisateurs préférés... Je me souviens d'une soirée frissonnante devant "la route de Madison", où j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps... hier soir encore, j'ai vidé ma boite de kleenex... placée près de moi sur le canapé comme une évidence ... un sentiment de réflexion sur la vie m'a accompagné jusque tard dans la soirée... mêlé à la joie de me dire que j'ai une vie formidable, une chance inouïe... et à la peine de constater que la vie peut être cruelle et injuste... tout le temps...
Je ne vais pas vous raconter le film, il faut le voir.... le point qui m'amène à ce billet est dans le personnage de Maggie (la merveilleuse Hilary Swank)... elle dit à la fin de l'histoire une phrase qui me touche et me fait peur "Quand je suis née, je pesais 1,300kgs... mon père disait que je me suis battue pour vivre... c'est en me battant que je partirai...".... Ce fut le moment le plus humide de la soirée pour ma fragile sensibilité... Je me suis mouchée comme une malade et j'ai touché de ma main superstitieuse le bois de mon escalier placé juste derrière mon canapé... réconfort personnel non fondé... maladif... rassurant...
Jean-Phi m'a regardé et m'a dit en souriant "pourquoi tu touches du bois??? qu'est-ce qui t'as fait peur encore???"... et là, je lui ai dit "je regarde la fin, je te dirai après..."...
Le jour où Manon est née, son 1,100kgs m'a paru squelettique et insurmontable... je me demandais si c'était possible de finir l'oeuvre de la nature... si l'Homme n'avait pas là une prétention médicale trop acharnée... je voulais qu'elle vive, par tous les moyens... maintenant qu'elle était là, devant moi, et qu'elle respirait de façon autonome, il était hors de question de me l'enlever... j'ai eu une pensée ignoble et stupide, qui flottait dans mon esprit... si-tu-devais-mourir-mon-bébé-c'était dans-mon-ventre-qu'il-fallait-le-faire-...maintenant-tu es-une-réalité-... tu-ne-peux-plus-me-fausser-compagnie.... tu-m'entends?-.... tu-DOIS-vivre!!!!!
Je réalise aujourd'hui l'absurde immaturité de mes états d'âme... l'impossible deuil à faire... qu'il soit in-utéro ou ex-utéro... le cheminement aurait été le même... souffre-t-on plus de la perte d'un enfant parce qu'on a vu son visage? Parce qu'on a eu un moment de courte vie avec lui???
Je croyais avoir la réponse à cette époque... je pense m'être trompée...
Manon a senti que je lui ordonnais de se battre, tout le temps... épée de Damoclès... supplication d'une maman qui ne peut pas se résoudre à autre chose que la Vie... qui savait qu'elle n'avait pas prévu cela dans son scénario de vie rêvée étant enfant... qui suppliait le destin de lui accorder un peu de répit... un tout petit peu...
Elle s'est battue... comme une grande... de toutes ses petites forces...
Les médecins qui venaient en néonat nous disaient sans cesse "ah, vous êtes les parents de Manon! Sacré petit bout de chou, elle est volontaire votre fille! C'est assez extraordinaire vous savez??? "... Non, nous n'en savions rien... mais nous ne voulions pas qu'elle baisse les bras, jamais... je lui répétais chaque soir avant de rentrer chez moi "A demain trésor... maman t'aime. Et tu n'oublies pas, tu respires comme une grande et tu prends tes dix grammes, d'accord?"....
C'était ma façon à moi de lui dire de ne pas faillir... même en mon absence... jamais...

Le film s'est terminé... le silence s'est installé dans la maison... Zoé a alors chouiné et a sangloté... un vilain cauchemar avait mis plein de frissons en elle... elle a pris notre main et s'est rendormie...
Je n'ai pas mis le nez dans mon bouquin pour trouver le sommeil... j'avais dit à mon homme que je lui dirais pourquoi j'avais touché mon bois réconfortant... j'ai éxécuté ma promesse...
En fait, je n'ai jamais pu me défaire de l'idée que Manon devait se battre... même une fois sortie de la néonat... j'ai toujours eu l'impression que si le ciel devait nous tomber sur la tête, ce serait sur la sienne en premier... comme si sa fragile naissance donnerait suite à une vie rattachée à un fil... comme si elle était vouée à une poisse irréversible... comme si j'avais donné la vie à une enfant qui était une marionnette dont je ne commandais pas les gestes...
Je n'ai pas ce ressenti avec Julie et Zoé... le sentiment normal de peur de les perdre est arrivé au moment même où elles ont poussé leur premier cri... mais je l'ai apprivoisé et dompté... pas avec Manon... ce sentiment est en moi... j'ai peur que tout soit pire pour elle que pour ses soeurs... peur que je sois impuissante face à ses soufrances comme je l'ai été durant les deux mois de néonat... peur qu'on me l'arrache encore... parce que cela aurait pu être fait à sa naissance...
Quand j'ai entendu cette phrase dans le film, je me suis mise à pleurer car je me suis dit "A quoi ça sert ma pauvre Maggie que tu te sois battue avec ton petit 1kg300 pour en arriver là aujourd'hui??? Doit-on toujours revenir à la case départ???"...
Je ne veux pas que Manon ait à se battre de nouveau pour vivre... jamais... j'ai touché du bois pour que cela n'arrive pas... pour me protéger de mon anxiété...
Je suis toujours très inquiète pour elle quand elle part en classe verte ou ailleurs... sans moi... comme si une petite voix en moi me disait "ah, enfin tu la lâches un peu... on va pouvoir faire ce qu'on veut!!!"
C'est ridicule... cette petite voix n'est que l'écho de ma propre peur... de mon incapacité à me débarrasser de la crainte de la perdre...
La prématurité ne donne t-elle pas aussi des séquelles psychologiques à la maman??? Vais-je un jour me réveiller en me disant "ca y est, tu es libre... ton métier de "bouclier spécial Manon" est terminé... prends ta retraite... elle est capable de s'en sortir..."...
J'attends ce jour... ce poids en moins...
Car je pense que cela la freine aussi dans ses élans, ses risques...
Quand Julie se jète sur un manège de la mort-qui-tue, je laisse faire... Mais si Manon court la rejoindre je m'entends dire "euh pas toi Manon, tu vas avoir la trouille!!!!"....
Si quelqu'un connait le remède du je lâche-la'bride-et-je-la-laisse-vivre-enfin je suis intéressée... il est temps que je me soigne, pour son bien, et pour le mien...

mardi 2 octobre 2007

Sautillements

Le début de ce blog a été assez mouvementé. Relater une naissance comme celle de Manon n'était pas qu'une histoire d'accouchement volé, de peur de la mort de mon bébé, de crainte de l'handicap... c'était un "tout"... je l'ai écrit au moment où j'ai senti que la boucle était bouclée...
J'espère que les parents de petits prématurés qui lisent ce récit vont de desespoir en espoir, et non l'inverse.. sinon j'ai tout raté. Je suis passée par des étapes difficiles mais en montant d'un cran à chaque fois, d'année en année... dans l'échelle de la croissance et des acquisitions.
Manon n'a plus vraiment de retombées visibles de sa naissance... elle est plutôt rondelette, charpentée... elle est rarement malade... elle est sage comme une image... elle travaille super bien en classe... elle n'a vraiment pas de quoi nous inquiéter...
Ce midi, comme tous les midis, je suis partie la ramener à l'école avec Zoé... et Noé, affalé dans mes bras en pré-sieste, pauvre loulou... L'école est annexée à une cité de petits immeubles, près d'un petit bois qui leur permet de faire des ateliers gigantesques de jardinage (l'école a gagné le concours national des écoles fleuries l'an dernier!!!)... où même une biche a élu domicile... pour y accéder il faut se garer devant les petits immeubles et s'engouffrer le long de la crèche et de la maternelle, dans une cour fermée... aucun risque qu'un bambin sorte et soit au beau milieu des voitures... Quand j'arrive à ce premier portail, je lâche la main de Noé qui part en sautillant... tout en regardant si je le suis, petit bonhomme pas si vieux... Zoé avance vite car sa "cour d'admirateurs" est déjà en rang d'oignons à l'attendre fébrilement, le visage collé au grillage... elle arrive telle une vraie star... Manon marche tête baissée, la démarche mal assurée, si je devais l'imiter, autant dire que je m'emmêlerais les pinceaux et me ramasserais sur le pavé... je ne sais pas comment elle arrive à marcher avec une telle mauvaise position des pieds, un sautillement, un décalage, une maladresse... elle bat des "ailes" avec ses mains... comme quand elle a un trop plein d'énergie, de stress, de timidité...
Les instits sont souvent au portail suivant, celui qui donne accès à la cour... ils sont de "garde"... ils doivent surveiller l'entrée et la sortie des petits écoliers... ce midi, il y avait la directrice, ex-maitresse de Manon, puisqu'elle exerce le CM1... je la voyais me regarder arriver... l'air amusé... et intrigué à la fois... en dévisageant Manon... si singulière... mais qu'elle a appris à connaitre... et à aimer... je me demandais ce qui se passait dans sa tête quand Manon a ce type de comportement autistique... de démarche bizarre... surtout pour une enfant de 11 ans, c'est étrange... ce n'est plus l'âge où on bouge dans tous les sens... je me suis rendue compte que je n'y faisais même plus gaffe... tellement habituée à voir Manon se "lâcher" cinq minutes par ci par là... tel un oiseau fragile...
Elle n'est pas du tout comme Zoé et Julie sur le plan nerveux... elle est très calme, attentive, sage... mais son comportement peut partir en secousses à tout moment... en relâchement... en sauts inexpliqués ... je me demande si en fait, sous ses airs si sages, ce n'est pas elle la plus hyperactive des trois... la plus sensible et survoltée... par l'énergie qu'elle déploie pour "être" à la hauteur... par le stress de ne pas y arriver...
Je sais que c'est une attitude qu'elle a depuis toujours et je ne l'ai jamais vue ailleurs...
Elle finira sûrement par partir...
Le kiné m'a dit qu'elle avait une maturation nerveuse plus lente... et que son hypertonie musculaire influençait son comportement social... sa maladresse... son côté je-sautille-alors-que-je-suis-en-train-de jouer est induit par ce manque de maturité dans son développement nerveux...
J'espère que cela s'atténuera, comme annoncé... car au collège, elle aura besoin d'avoir un comportement plus adulte... dans son apparence... et même si son mental est en accord avec son âge, voir plus adulte, son corps reste marqué par sa lenteur à grandir... et c'est surprenant... au premier abord...
Je n'ai pas de référence plus agée qu'elle en matière de prématurité...
Je ne peux pas me projeter...
J'ai juste la certitude de voir tout basculer avec les hormones, la puberté... soit-disant que cela est plus marquant chez les enfants nés trop tôt...
Manon commence à avoir mal au ventre tous les mois...
Elle n'a aucune crainte des règles qui vont venir rythmer sa vie avec douleur et souillures rougeâtres... tous les mois...
J'avais pourtant la trouille qu'elle parte en courant en voyant cela sortir d'elle...
Elle ne fonctionne jamais comme je l'aurais prédit...
Heureusement, c'est ça la magie de la vie... nous donner un bien mauvais départ mais nous combler par la singularité d'un enfant qui ne grandit pas comme on l'aurait imaginé...
Manon est vraiment un phénomène... en ce moment, je l'entends se bidonner parce que Julie s'est pris le pied dans le tuyau de l'aspiro, sous son pif... elle est pliée en 4.... son rire résonne partout... c'est très communicatif... je vais aller les voir... et ranger cet aspiro de malheur que j'ai laissé en plan pour aller ramasser mes feuilles mortes devant la maison.... au grand air, avec les voisins qui tondaient et parlaient dehors...
Tout le monde est joyeux ce soir... il fait beau...
Dernières lueurs estivales... ça fait du bien...

mercredi 26 septembre 2007

Anniversaire

Avec un peu de retard, voici quelques photos mémorables de l'anniversaire de Manon !

Encore un gros merci à tous pour vos marques d'affection...

mercredi 12 septembre 2007

Vas-y, souffle!

Il y aura 11 bougies. Je parle au futur car le jour J, c'est samedi. Le 15 septembre. Je sais, pourquoi être en avance pour en parler?... Tout simplement parce que papy et mamie seront là, pour le week-end (plus on est de fous plus on rit!!)... et aussi parce que l'anniversaire de Manon rime avec "la journée du patrimoine"... donc nous serons quelque part, dans un chateau du coin, à écouter le guide, à s'imprégner de la visite, de l'architecture, du temps qui passe... nous aimons revenir en arrière, comprendre, admirer... Manon est une passionnée d'histoire, de vestiges, de pierres... elle rêve d'être archéologue... C'est une envie bien peu commune... qui mérite qu'on lui fasse plaisir...
Je lui souhaite d'accéder à ses rêves les plus fous.
Pour ma part, je suis rêveuse chaque 15 septembre. Je regarde ma fille et je me demande comment j'ai pu me tracasser autant pour cette enfant si robuste aujourd'hui... si jolie, si calme... comment j'ai pu douter qu'elle parviendrait à être comme tous les enfants de son âge, noyée dans la masse...
Elle grandit et les traces de sa prématurité s'effacent... comme elles s'estompent de ma mémoire... rendant cet accouchement plus docile...
Son caractère et ses goûts sont atypiques mais plus on approche de l'adolescence, plus les personnalités se mettent en avant et l'originalité est alors mieux accueillie... c'est comme si elle était davantage faite pour un monde d'adultes, qui sait ce que veut dire différence, racisme, intolérance... comme si elle avait une maturité plus compatible avec cette tranche d'âge...
Pourtant elle n'est pas mature sur tout. Le quotidien la bloque et l'enquiquinne.
Elle ne veut pas être bousculée. Elle nie la cruauté, la méchanceté. Elle ne veut pas souffrir.
Manon a été longtemps notre enfant "point d'interrogation"... celle que nous avions du mal à déchiffrer... celle qui a toujours mis une barrière entre son monde et le nôtre... celle qui était passive...
Aujourd'hui elle est la petite fille sans laquelle notre famille serait amputée d'une douceur, d'une force tranquille et d'une grande innocence...
Elle est la plupart du temps silencieuse, solitaire... elle mange aussi vite qu'un courant d'air... et réapparait à pas feutrés, tel un chat qui s'immisce, doucement...
Si la vie nous l'avait enlevée, si les choses avaient mal tournées en néonat, nous aurions perdu la plus merveilleuse des petites filles...
Nous en avons conscience chaque jour et mesurons la chance que nous avons eu...
C'est un réel bonheur que de vivre avec cette enfant née trop tôt...
Elle ne lit pas ce blog, qui ne vit que grâce à elle et pour elle...
Un jour, elle le fera sans doute... elle me l'a dit...
Dans cette éventualité, je me permets de lui dire combien je l'aime et combien sa naissance a tout bouleversé...

Cool, Manon...

mardi 4 septembre 2007

La marche

Manon a pris son temps. Pour tout, mais particulièrement pour marcher. j'ai flippé. Beaucoup. J'avais beau me dire que les comparaisons entre deux soeurs sont malsaines, stupides, et encore plus inutiles quand il y a deux parcours, deux naissances, radicalement différents... Je comparais. J'avais toujours un petit vélo qui pédale dans ma tête et une idée fixe : pourquoi ne marche t-elle pas???
J'ai tout envisagé. Avec une tendance maladive à croire qu'on ne m'avait pas tout dit sur les séquelles motrices d'une enfant dite grande prématurée. J'ai eu peur que le couperet tombe, qu'on m'annonce un problème, sous forme d'une "commande qui ne se serait pas faite dans son cerveau : celle de la marche"... le truc dingue qui passe par la tête des millions de fois et même si vous avez beau l'éloigner, le réduire à néant chaque soir en caressant la tête de cet enfant si fragile, si précieux...il revient, plus fort, comme une boule de neige qui grossit dans une longue descente vertigineuse... incontrôlable...
Il suffit d'un rien, d'un mot.... n'importe où... au parc, au supermarché, à la sortie de l'école.... Vous êtes là, à tenir la main de votre petite louloute de deux ans, frisée comme un ange, le teint de porcelaine et les yeux très bleus... Julie sort de sa classe de maternelle et a besoin de vous pour lui enfiler le manteau d'hiver trop gros alors qu'elle tient le joli dessin qu'elle vous a fait avec amour.... vous n'osez pas lâcher la main qui vous serre et pourtant il le faut... alors la poupée de porcelaine se raidit, écarquille de grands yeux craintifs et choisit soit de vous attraper la tignasse comme bouée de sauvetage, soit de s'écrouler par terre comme en mille morceaux, les jambes raides, le corps dénué de toute souplesse... la douleur se lit partout en elle... physique, morale... nerveuse...
Une maman X est là, les bras croisés et lance un "bah elle ne marche pas encore cette grande là????"... la seule chose à ne pas dire...
Il y a deux choix : raconter la courte vie de Manon, de sa naissance à ses deux ans, et là, vous êtes sûre de ne jamais re-croiser cette maman, devenue confuse, et emplie d'une peine encore plus lourde que la vôtre... ou alors répondre un "bah non, elle prend son temps!!!" avec un regard qui en dit long sur la lassitude à devoir justifier un état de fait qui ne regarde que vous...
Dans ces moments là je me disais que j'aimerais bien connaître le petit rigolo qui a légalisé l'âge de la marche à un an!!!???? De quel droit? Et pour faire plaisir à qui d'abord????
Ce monsieur n'a-t-il donc jamais connu d'exceptions à la règle qui anéantiraient sa jolie théorie?? Aurait-il pu dire à toutes les personnes que j'ai croisé que chacun avait le droit de marcher quand bon lui semblerait????? que la peur pouvait être un facteur bloquant et que toutes ces réflexions ne faisaient que me mettre en vrac et démotiver ma fille???? que je me torturais l'esprit à cause d'eux et que je me faisais des noeuds au cerveau pour rien????
Manon a marché en été, loin de tout le monde, en Ardèche... là où personne ne la jugerait... et là où sa maman avait décidé de lâcher prise, de se laisser vivre....
Ce fut magique, le moindre souffle de vent pouvait la faire chavirer... mais c'était magnifique, très émouvant....
Elle n'a jamais été une fonceuse, elle a toujours pris soin de s'écarter des turbulents.... de ne pas prendre de risque....Elle pouvait me lâcher depuis longtemps mais j'étais un bouclier trop douillet, anti-choc....
Elle a toujours été maligne, calculatrice...
Elle l'est toujours...
Et ce que je croyais être de la paresse, de la mauvaise volonté, est en fait devenu l'une de ses plus belles qualités... la prudence....

Un clin d'oeil tout spécial pour Clochette, la petite puce d'Aïleen, qui se lance dans la grande aventure et à qui nous envoyons de gros câlins d'encouragement....

mardi 21 août 2007

Casse-tête

Trouver la trousse idéale pour mon écolière de Manon, ce n'est pas simple.
D'abord, il faut inspecter celle de l'an passé, voir ce qu'il y a à sauver... je la découvre généralement remplie de copeaux de crayons de bois, discrètement taillés à l'intérieur... aller jusqu'à la poubelle placée sous le pif de l'instit, ça demande pour ma timide dix pensées persuasives de "je vais y arriver, je vais y aller!!!"... Trois souffles dans le creux de ses mains devant sa bouche rougie et tremblante... un déplacement visible qui va la mettre mal à l'aise.... c'est au dessus des forces de Manon... donc trousse=poubelle... par la force des choses.
Ensuite je découvre les 4 stylos billes (bleu, noir, vert et rouge) bouffés jusqu'à l'usure du plastique... l'embout du stylo qui arrête la tige d'encre est aux abonnés absents. Le bouchon est machouillé et diforme... et l'encre est sèche... bref, la misère totale. Je les change tous les mois. Je ne suis pas étonnée. Juste résignée.
La gomme est striée de trous, son copain "le compas" a eu des pulsions ravageuses, il a voulu la transformer en gruyère... Manon trouve cela... comment dire... destressant!!!... ça l'amuse beaucoup quand elle attend un résultat d'évaluation.
La règle est cassée en deux. La pression des mains de Manon est excessive et maladroite. Elle se crispe... et fracasse... c'est un gros souci de trouver la règle idéale.
Idéal est un mot que je ne connais pas en matière de fourniture scolaire. Si quelqu'un détient le nom du sac à dos qui résistera aux 8 kilos journaliers que Julie porte sur son dos, je fonce de suite l'acheter. Je n'arrive toujours pas à marquer durablement d'un signe distinctif les stylos billes de Manon afin qu'ils ne soient pas embarqués par son voisin... qui a les mêmes... forcément... Toute la ville va au même hypermarché...
Cette année, j'ai pris de bonnes résolutions... j'ai mis un peu plus cher dans l'achat du sac à dos de Julie, car la voir revenir avec le sien craqué dès janvier, j'en ai marre... faut savoir qu'en début d'année, dans les rayons, à part les combi de ski, les moon boots et la quinzaine du blanc, y a pas grand chose... la France adore fractionner à l'avance ses étalages commerciaux... depuis le 15 juillet, nous flânons en short dans des rayons cahiers, stylos, classeurs et cartables... exit l'ambiance plage... tant pis si on voulait un nouveau parasol parce que l'ancien a fini hier tordu sur la serviette de plage du voisin... faudra attendre mai 2008 pour s'en procurer un neuf!!!! Pour les achats scolaires, faut pas traîner, car dès le 15 septembre, on va nous sortir les citrouilles et les costumes de fantômes... tant pis si il nous manque le cahier 96 pages format 24x32 que la prof d'espagnol a oublié de signaler (euh, ça pourrait être la prof d'anglais aussi!)... les magasins spécialisés comme Cultura et Alice se feront un plaisir de nous proposer "the" cahier oublié à un prix sympathique, spécial tête en l'air.
Vous comprenez donc pourquoi je m'organise. Du moins j'essaye.
J'ai suivi les conseils d'une amie que j'aime beaucoup, nounou comme moi, qui vit en Normandie. Elle est passée ce mois-ci à la maison avec sa petite famille et m'a conseillé d'acheter pour Manon les stylos Pilot G. Ils ont une forme qui lui permettra de ne pas glisser sur le bout de la mine, et une largeur qui lui enlèvera la crispation dûe à la pression de ses doigts... je pense que Manon va y trouver un confort indéniable.
Tout conseil venu de Maman experte en fourniture scolaire est le bienvenu.
Il me reste encore de la marge avant de me plonger dans l'ambiance d'Halloween.
Je suis toute ouïe...

lundi 20 août 2007

Retenue à un souffle...

Ce long week-end du 15 août (férié en France) a été propice à un séjour en mobil home au Pays Basque... Nous ne sommes pas pratiquants de surf, je dirai même que les vagues de l'Océan ne sont pour moi qu'un plaisir des yeux... j'ai eu de quoi me ravir, la mer a été déchaînée bien des fois... Nous avons eu de belles journées, à visiter l'arrière-pays... à profiter de la piscine du camping... à jouer au Yam's ou au Taboo avec les filles... à parler de tout et de rien le soir venu à l'heure du café...
Odile, la cousine de mon homme, nous avait gentiment invité à les rejoindre, son mari et elle, sur ce lieu de vacances, comme tous les ans, au 15 août... Nous y allons toujours avec grand plaisir... le mobil-home reste même confortable à 7 personnes... nous y passons de bons moments...
Les conversations tardives après une journée d'été partent souvent dans tous les sens. Et parfois, dans le sens inverse de la vie qui s'écoule...
Odile a subi un grave accident de la route, en 2002. Elle a toujours été battante et a toujours voulu faire avec cette "failure"... l'incluant à sa vie, acceptant les séquelles... elle m'a parlé un soir de son coma, de ce trou noir qu'elle n'arrive pas à éclaircir... consécutif à son traumatisme cranien... elle m'a avoué
"Je questionne souvent mon père pour savoir comment j'étais physiquement la première fois où il m'a vue en réanimation... si il pleurait, si il me parlait... ce qu'il faisait le soir en rentrant chez lui avec ma mère et ma soeur..."
J'ai repensé à ce coup de fil de mon beau-père qui me disait "Odile a eu un grave accident de voiture, je pars amener d'urgence mon frère et ma belle-soeur à l'hopital de Bordeaux... on leur a dit que leur fille était perdue..."...
Je lui ai répondu, évasive....
"Je sais que ton père pleurait au téléphone et n'arrêtait pas de dire que tu allais mourir... "
Elle a acquiescé et a rebondi.
"Oui, mais moi, je voudrais savoir à quoi il pensait, chaque jour quand il venait me voir..."
J'ai alors repensé à Manon, en réanimation, le lendemain de sa naissance. Je ne sais pas si un jour elle me demandera "A quoi tu pensais Maman en me regardant dans la couveuse???", mais j'ai eu un drôle de sentiment rien que de me l'imaginer.
Je ne sais plus si j'avais encore assez de force pour penser à quoique ce soit d'autre que de retenir mon souffle pour qu'elle puisse respirer à ma place. Je me souviens d'un état de fatigue et de passivité assez déconcertant. D'une envie de dormir et de me réveiller quand tout sera fini. Lorsqu'elle sera sortie de cette cage de verre et déconnectée des machines. Je sentais un poids immense sur mes épaules et je n'arrivais pas à m'en défaire.
C'était l'automne. Paris se tapissait de feuilles mortes et le froid revenait avec la tombée de la nuit plus précoce... Je passais mes journées dans une salle de réanimation coupée de la clartée du jour, tamisée par des lumières artificielles, où règnait une odeur puissante de desinfectant...j'avais l'impression que l'odeur du savon liquide que j'utilisais pour les mains ne me quittait jamais, rentrait dans mes pores... je faisais ce rituel chaque matin en arrivant pour me débarrasser des bactéries du dehors, vêtue de la tête aux pieds d'une blouse bleue en crépon... je faisais des choses systématiques dans une vie devenue mécanique... je crois que j'étais en suspens... en attente... en stand by...
Le soir venu je revenais à la maison, j'appelais la famille et annonçais les 10 grammes pris par ma crevette avec fierté... je serrais fort ma Julie, aimante, joyeuse, bavarde... elle voyait bien que j'avais besoin d'être secouée, ramenée à la vie normale... que je devais me souvenir que là, près de moi, il y avait des êtres vivants, qui se levaient chaque matin avec un but, un espoir... une raison de vivre...
Les gens que je croisais dans mon métro du soir avaient de la chance de rentrer chez eux, attendus par leur famille au grand complet...moi je revenais de voir mon bébé, qui commençait bien mal sa vie... j'enviais l'innocence de toutes ces personnes qui n'avaient qu'à se soucier dans l'immédiat que du repas à concocter le soir même... moi je mangeais pour me remplir d'un vide que Manon avait laissé... je n'avais plus de bébé en moi et je n'en avais pas non plus à la maison... je traînais dans sa chambre quand Julie était couchée, assise le dos contre le mur... Le regard perdu...rien ne laissait prévoir qu'un bébé vivrait ici, il y avait tous les cartons de la maison, entassés, immobiles...je n'avais le temps de rien... nous venions d'emmenager, et nous n'avions pas prévu qu'elle arriverait si vite...
Rien ne marquait sa présence effective, sa mise au monde... Manon n'existait pas encore...
Les faire-parts de naissance ont été édités et envoyés une fois qu'elle était sortie de l'hopital... seulement à ce moment... pas avant...
Ce n'est qu'à ce moment que je me suis sentie maman...
Et que j'ai senti que la fatique me quittait...
C'est de cela que je lui parlerai plus tard... de ce bonheur immense de l'accueillir dans notre foyer...
Le reste, c'est inscrit en moi, en elle... tout a été dit par nos regards partagés dans une chambre de néonat... par les calins que je lui faisais sans compter...
Nous le savons toutes les deux...



En neonat...

lundi 13 août 2007

Fait nouveau

Nous sommes dans une région de passage pour les vacanciers désireux d'aller vers le Pays Basque où l'Espagne. Nos amis parisiens font partie de ce type de vacanciers. Ce sont pour la plupart des ex-collègues de travail qui ont su nous visiter dans chacune de nos résidences de mutation. Ils ont vu du pays. Nous aimons recevoir. C'est avec humour que la petite famille que nous accueillions ce week-end nous a dit "Alors, prochaîne étape???"... Nous avons souri et laissé comprendre "qui vivra verra..." Nous aspirons toutefois à de la stabilité.
Cette petite famille ressemble à la nôtre, elle comporte cinq membres, dont trois enfants de sexe... féminin. C'était joyeux, la palette enfantine allait de 6 à 15 ans... Nous étions comblés.
D'habitude, Julie est celle qui suscite le plus d'intérêt et sa chambre est un lieu convoîté. Le rose fuschia, la coiffeuse et son miroir, l'ordi, les éffigies mangas, le petit coin détente sous la mezzanine où Julie écoute ses CD... ça le fait bien.
Zoé s'occupe généralement de la petite dernière de nos hôtes, elle sort ses Doras, chevaux barbie et coloriages pour combler la titounette qui a exactement les mêmes goûts que ma demoiselle... comme par enchantement... sauf cette fois-ci. La titounette a tourné les talons pour jouer avec les dinosaures de la chambre d'en face. Zoé a été surprise, mais bonne joueuse.
Manon a toujours fait comme si de rien n'était. Si quelqu'un voulait pénétrer dans sa chambre, advienne-que-pourra. Elle ne détachait pas pour autant un oeil de son ordi et semblait être absente. Soit le visiteur se sentait de trop et partait, soit il n'osait même pas rentrer...
Manon a changé de comportement. Elle a pris des allures de guide de sa "chambre", elle présente ses dragons, ses livres de dragonologie, ses peluches, ses livres de planètes... elle allume sn ordi et décrit Warcraft. Elle n'omet pas de dire qu'elle met à disposition ses jeux de Mario sur sa gamecube. Et ça marche!!!!
Deux visiteurs cette semaine ont succombé : le petit de 7 ans (de mon amie nounou descendue de Normandie) a passé une soirée scotché à Manon... c'était mercredi soir, lors de leur visite... ce week-end, la petite dernière de nos amis n'a pas quitté Manon, elle a même voulu dormir les deux nuits avec elle!!! Manon lui a raconté des histoires pour l'endormir, a pris soin d'enlever ses dragons fluorescents pour ne pas faire cauchemarder la petite de 6 ans si ébahie... c'était trop mignon...
La petite a fini le week-end avec un seul mot à la bouche "elle est où Manounette??? elle est trop gentille, moi je l'aime!!!"... c'était trop marrant... deux fans en une semaine, nous ne comprenons plus rien!
Nous avons félicité Manon et lui avons demandé si elle était heureuse de partager plus de choses avec les autres. Elle a dit oui et trouve que beaucoup de petits s'attachent à elle... elle est si douce, si attentive... nous savions qu'elle était "aimable" et qu'il fallait juste qu'elle enlève sa carapace... c'est un grand pas, un grand changement...
Pourvu que ça dure!

les étoiles filantes

Pendant trois soirs, il était possible de scruter les étoiles si on en ressentait l'envie. Personnellement, je n'y connais rien en astronomie, mais mon homme et Manon sont de vrais passionnés. Ils étaient exités comme des puces.
Pendant que j'avais une crise de ménage (toc compulsif, façon de décharger un trop plein d'énergie??? je ne sais pas, ça me prend des fois...) Manon a aidé son papa a installé son télescope devant sa fenêtre de chambre hier après-midi. Un coup ça chantait, un coup ça râlait, classique entre le père et la fille.
Bien sûr, sans ciel dégagé, c'était mort. Manon a donc regardé la météo sur google, soufflé pour pousser les petits nuages de beau temps... nous avons eu un beau dimanche estival. Fort heureusement.
Nous habitons dans la première couronne de Bordeaux, de l'autre côté de la rocade (périphérique bordelais), coincés entre Talence (la commune universitaire par excellence) et Bègles (la ville de Noël Mamère)... nous sommes donc bien situés et... éclairés!!! Ce qui veut dire difficile de bien voir les constellations!!!
Nous sommes donc partis vers 22heures hier soir sur Gradignan, à 10mns de chez nous, notre plaid sous le bras, le lainage et le pantalon enfilés, pour participer à la soirée des étoiles filantes, dans le parc de la mairie. Manon était fébrile. Zoé râleuse car fatiguée par un samedi plage et un repas entre amis tardif la veille au soir, Julie avait mal au bide... mais bon, il en fallait plus pour arrêter mon homme.
Il y avait plein de monde, c'était inattendu. Les gens étaient autour du très beau télescope prêté par la mairie, avides de renseignements, car un passionné d'étoiles président d'une association était là, volubile, radieux. Les filles ont regardé poliment et ont fait un "ohhhhhhh!" tout timide... Jupiter était sous leurs yeux, accompagnée d'une de ses lunes, Europe... elles étaient songeuses. Nous nous sommes ensuite étalés sur une couverture dans l'herbe. La mairie dispose d'un très joli parc ombragé et magnifiquement tondu, fleuri, qui doit faire le bonheur des mariés pour leurs photos. Je commençais à être fatiguée, sentant en moi les deux jours écoules où nous avons reçu des amis de Paris, avec leurs trois filles... nous en avons bien profité. je baillais joyeusement quand une étoile filante est passée sous mon pif... J'ai alors fait un voeu furtif, enfoui, espéré... Jean-Phi disait aux filles " vous l'avez vue, là, tout de suite????" Julie a dit "oui, trop beau!", Manon a demandé "où çà?" et Zoé a questionné "quoi qu'est-ce qu'il faut regarder??"... j'ai commencé à me dire que si elles avaient un temps de retard à chaque fois, où le regard braqué à l'opposé, la nuit allait être longue! Je sentais que les moustiques me tournaient autour du visage, j'ai commencé à me mettre des tappes toutes les deux secondes. Alors que nous étions au moins une centaine sur l'herbe pourquoi moi???
J'ai dit aux filles "euh la prochaîne étoile, vous la loupez pas car moi je vais finir en elephant man d'ici 10 mns!!!!"...
Fort heureusement, le ciel nous a gâté... elles ont trouvé cela magnifique et nous avons pu nous réjouir d'un beau spectacle naturel. J'ai avoué à Jean-Phi combien j'avais oublié ce bonheur simple et grisant, reposant, allongée dans l'herbe, à regarder les étoiles...
Manon est rentrée ravie, elle a regardé un peu dans son télescope et a revu Jupiter... toute jaune et brillante...
Ce matin, elle a allumé son ordi et a changé son fond d'écran, toute pressée... de me dire au pettit dej, que Jupiter était sa nouvelle page d'accueil... et son nouveau sujet de conversation préféré!!!

lundi 6 août 2007

Blocage

Manon n'est pas une téméraire. Elle est ce qu'on appelle une "petite fille dans les jupes de sa môman"... et je m'en suis accomodée. je l'ai même cherché. Dès son premier souffle, j'ai été suspendue à chacun de ses grammes et de ses battements de cils... je souhaitais un peu cette complicité, cet attachement. Cette fusion. Celle que sa naissance nous a volé.
Manon est une courageuse, elle n'a jamais rechigné pour franchir les barrières que son corps maladroit et lent lui mettait sur son chemin. Je ne peux qu'être admirative face à son acceptation d'être "différente"... elle trace sa route, à son rythme. Peu importe que le reste du monde vive à 100 à l'heure.
Tout cela pour vous dire que, oui, elle a grandi étape par étape avec une élégance et une gentillesse hors normes, et que, non, elle n'arrive pas à aller au delà de certaines phobies.
C'est contradictoire, je le conçois. Se battre pour vivre comme elle l'a fait dès sa naissance est bien plus difficile que d'affronter... un barbecue.
Car barbecue, il y a eu. Ce week-end. Et il y en aura bien d'autres. Alors...Que faire???? Rentrer dans son jeu et la laisser manger seule à l'intérieur de la maison? Lui demander de respirer calmement et de penser à autre chose, pendant que je suis assise à ses côtés, autour de la table de jardin, à la rassurer...????
J'ai fait cela à chaque fois qu'elle a eu du mal à aller au delà... de n'importe quoi : une leçon difficile à retenir, une visite chez des amis propriétaires d'un gros chien bondissant et lèchouillant, mettre la tête sous l'eau... Que ce soit avec l'aide et la patience de son papa, de son papy, de Julie ou de moi-même... elle a toujours fini par se lancer... et par se surpasser...
Là, je n'arrive pas à la canaliser. Elle se met dans un état de trouille excessif dès que le barbecue fonctionne, que le steack frissonne dans la poëlle, que j'allume une bougie à la citronnelle...
Tout ce qui a rapport avec le "feu" la panique... et rien n'y fait.
Cela a toujours été un fait établi. Mais j'avais réussi à la rendre confiante et nous n'avions plus à affronter sa venue dans la cuisine, affolée, prête à nous dire "Maman, t'es sûre que ce que tu prépares ne crâme pas??," ou "maman, tu restes dans la pièce où tu as allumé la bougie?"... elle avait compris que nous étions prévenants et que nous gérions les situations. Jusqu'au jour où elle n'a pas eu de bol, encore une fois.
Ce jour était celui de mon anniversaire, en mars dernier. Nous étions invités à déjeuner chez des amis proches, un dimanche midi. Des amis qui ont toujours su nous bichonner, et nous recevoir avec les petits plats dans les grands. Je tiens à dire que ce petit incident que je m'apprête à raconter n'a rien changé dans ma façon de penser. Ils sont adorables.
Ce jour-là, c'était fondue bourguignonne au menu. Le poëlon marchait à l'alcool à brûler et montrait des signes de fatigue, d'usure. Nous avions pris un apéritif, une entrée succulente à base de gésiers... les frites trônaient au milieu de la table... Il fallait juste faire trempette avec notre bout de boeuf, tranquillement...
J'étais assise à côté de Manon, à qui j'avais promis que tout se passerait bien, et que j'avais félicité pour son courage, loin des regards. Elle était pile poil en face du poêlon. Et elle était fière de mettre son pique toute seule... Je l'entends encore me dire tout doucement dans mon oreille, pour qu'on ne se moque pas d'elle "tu vois, maman, j'y arrive, et j'ai même pas peur de la petite flamme en dessous..." Je lui avais montré mon pouce levé sous la table en guise de contentement et de complicité. Rien qu'entre elle et moi. J'avais l'habitude d'entretenir avec elle des regards, des codes, des chuchottements sensés lui faire comprendre que j'étais pas loin et que de j'étais super fière d'elle, toujours. Manon pouvait ainsi évoluer ailleurs que chez elle en toute sérénité.
L'alcool à brûler à commencer par faire des éclaboussures. Manon n'a rien dit. La maîtresse de maison a vu et sans que l'on s'en aperçoive, elle est venue derrière Manon et moi, seul endroit accessible,et à empoigner le poëlon avec sa soucoupe et l'a passé par dessus nos têtes... Le feu a pris sur la nappe, faisant sursauter tout le monde. la maîtresse de maison a senti ses mains avoir plus que chaud et a vacillé un peu, déversant de l'alccol à brûler sur Manon. Fort heureusement, l'huile est tombée à côté et a fini par terre, lâchée au beau milieu de la cuisine. Manon avait les cheveux en feu, partiellement. Je me suis jetée sur elle, tout a été vite éteint, et c'est ma manche et mes cheveux à moi qui ont pris feu à leur tour. Mais je m'en fichais. Tout ce que je voulais voir, c'était Manon, partie rejoindre ses soeurs, en toute sécurité... je l'ai entendu crier "oh maman, maman? le feu!!!"... elle avait les yeux affolés...
Tout s'est bien terminé... le pire a été évité. Si l'huile chaude avait été déversée sur elle, cela aurait été catastrophique...
De ce jour, Manon garde un souvenir mitigé. Elle dit qu'elle avait peur du feu bien avant. C'est vrai, mais nous savions la calmer. Actuellement, elle ne se calme plus, elle questionne, suspecte, veut quitter le jardin si les brochettes cuisent... je lui dis "n'aies-pas peur, je suis là!"... Et elle me répond "tu avais dit ça aussi lors de la fondue, que tu étais là, et que je n'avais rien à craindre!"...
Elle a raison. Je ne peux plus me servir de cet argument. Il n'est plus valable.
Je dois être patiente. Et inventive. Le plus dur est de l'expliquer à ceux qui vivent son coup de panique en direct, chez nous ou chez eux, qui la regardent ébahis, et qui ne la comprennent pas.
Comme toujours.

jeudi 2 août 2007

Souvenir, souvenir....

L'époque où Manon vivait rattachée à des fils dans sa petite couveuse est loin derrière moi... 11 années ont passé. Manon fête son anniversaire ce 15 septembre prochain. Je m'aperçois que j'ai perdu mon côté sensible et émotif qui faisait que je pleurais dès que je voyais un reportage traitant de la prématurité... j'ai pansé mes plaies. J'ai appris à vivre avec cette naissance et elle est devenue docile. Elle a même réussi à devenir un souvenir. Elle fera toujours partie de ma vie, de celle de Manon.
C'est comme une cicatrice qui s'est effacée avec le temps, qui s'est embellie, et qui fait partie de mon corps.
La semaine dernière, l'émission "Immersion totale" a consacré son reportage à la vie dans un service de grands prématurés. Je l'ai enregistrée. J'étais au Havre chez mes parents. Nous avions autre chose à faire que d'allumer la télévision. Et je n'avais pas envie de replonger dans tout ça. C'est intimiste, vicéral. Je sais que si je la regarde, il faut que je sois seule. Il y a des sentiments que j'éprouve en voyant un bébé prématuré qui ne sont pas dans ma tête, mais enfouis dans mon ventre. Ceux-là, je suis la seule à les connaître. Et je ne peux pas les contrôler.
J'ai sorti la cassette de ma valise mardi et je l'ai posée sur le magnétoscope. Elle y est encore. Je n'arrive pas à trouver le bon moment. Je préfère me plonger dans un livre de Guillaume Musso, allongée sur un bain de soleil, cachée derrière l'énorme bambou qui décore ma terrasse. Je flâne et je jardine. J'attends que la chaleur passe et comme mon homme finit vers 16h, nous partons avec les filles sur la commune de Bègles, à 1Omns de chez nous, où un lac artficiel nous offre une belle plage de sable fin, une pelouse à perte de vue et des tables de pique-nique.
Je ne trouve pas le moment. Je me demande si je le cherche vraiment.
Ai-ce bien nécessaire de rouvrir d'anciennes blessures? Je tente de me persuader que j'ai enregistré ce reportage au cas où Manon voudrait comprendre sa naissance. Je lui ai dit que je disposais de cette émission qui lui permettrait de mieux visualiser ce qu'elle a enduré. Elle ne rejète pas l'idée de la voir mais répond poliment :
"D'accord maman, mais là je vais bien, t'es sûre?"
"oui, oui, tu n'as rien à craindre."
Elle sourit, apaisée "alors on verra plus tard, d'accord?"
Je pense que pour elle, c'est du passé. Elle se sent libérée de toute la médicalisation qu'elle a subi et elle veut que je la laisse tranquille. C'est légitime.
Je devrais peut-être penser à me laisser tranquille moi-même...
Je vais me faire plaisir. Je vais aller poursuivre mes virées blogeuses dans un "patio" bien accueillant, où il fait bon vivre, et où tout est différent de ma petite vie de maman qui s'en fait beaucoup trop pour sa progéniture....

jeudi 5 juillet 2007

Manon est en vacances

Ca y est. C'est parti mon kiki. Manon ne reverra son école que le 29 août. Elle a déjà regardé son calendrier de La Poste (imagé d'un ours polaire, suspendu au dessus de son bureau), pour y calculer le nombre de jours hors de la maison et ceux où elle pourra disposer de Warcraft... ça ne rigole pas. Tout doit être préparé. Manon a besoin de repères. Ca la rassure.
Rassurée, elle l'était hier soir. La boum s'est très bien passée. Il n'y a eu que des slows. Elle a pu finir avec une respiration correcte et des jambes en état de marche!
Elle a été très sollicitée par des garçons, elle était fière... et rouge comme une tomate. Il faut dire que depuis deux jours, elle avait sérieusement la côte avec Mathis et Albert. La raison en était le suivante : l'occupation principale du maître depuis deux jours consistait à remettre la classe en état, les élèves avaient quartier libre. Manon m'avait demandé hier si elle pouvait amener sa console Nintendo. D'autres l'avaient fait. Elle avait le droit. A condition que les parents prennent leur responsabilité en cas de perte... ou de vol.
J'ai hésité. Mais je savais que Manon avait très peu de liens avec ses camarades de classe, car ses seules passions sont les jeux virtuels. Elle ne partage pas les jeux de ballons, les discussions de filles sur les vedettes... ça ne l'intéresse pas.
Je me suis donc dit, elle va enfin se rapprocher d'eux. On verra bien. Je tente le coup. Elle avait juste comme consigne d'amener un seul jeu. Ce fut Nintendogs. Un jeu virtuel où on élève un chiot.
Elle a déclenché l'admiration. Elle connait ce jeu comme sa poche, les astuces, les clivages. Elle a navigué de place en place, pour aider à s'en sortir sur un jeu Pokémon, elle savait comment se dépatouiller avec le dresseur... elle est très forte à Animal Crossing et a fait saliver les copains. Voilà donc la raison de son succès. Manon était devenue "l'une des leurs". Un vrai "petit mec" qui se délecte devant sa console, et parle Warcraft et figurines à collectionner. Des sujets qu'elle a gardé en elle. Alors que si elle en avait touché mot bien avant, cela aurait pu la rapprocher de certains. Dommage. L'année scolaire est finie.
Manon est une retardaire de l'affection. Elle n'ose pas. Elle pense qu'on va se moquer d'elle, la rejeter, l'ignorer. Elle ne sait pas s'y prendre. Elle ne montre d'elle qu'un côté timide et renfrogné, qui destabilise plus qu'il n'attire.
J'essaye par tous les moyens de lui prouver qu'elle est "aimable". Elle ne veut pas l'entendre. Elle pense que c'est de la moquerie, des mensonges.
Je compte beaucoup sur le temps, la maturité, pour la rendre docile et sociable.
Je ne peux pas toujours prendre la parole à sa place quand on s'adresse à elle, ou aller voir sa maîtresse pour lui dire qu'elle a oublié de faire un exercice et qu' elle n'ose pas le dire... Je ne serai pas toujours celle qui la relie aux autres. Il va bien falloir qu'elle se jète dans la "cage aux lions"... un jour ou l'autre...
Je ne serais jamais loin... là tout près... pour la rattraper si elle tombe... ou pour l'aimer encore plus fort si elle a été bafouée, trompée...
Je serai toujours son bouclier... Je la sens si fragile... si inoffensive...
Des fois l'avenir me fait peur. Je ne sais pas si j'arrêterai un jour d'avoir peur pour elle. Ca va et ça vient. Ce n'est pas tout le temps.
C'est une réaction que j'éprouve à chaque fois que je la sens en panique, comme hier avant la boum, et que je crains un rejet, une frustration, une moquerie... j'ai toujours peur de la ramasser à la petite cuillère. De devoir tout recommencer à zéro dans la longue quête de la confiance en soi... de revenir au point de départ. Et de devoir de nouveau la mettre "sous verre", pour qu'elle grandisse encore un peu plus, sois plus forte... pour affronter le monde extérieur.

mercredi 4 juillet 2007

Manon se ronge les ongles

Manon a eu des ongles, un jour.... c'est sûr car c'est la première réflexion que je me suis faite en la dévisageant dans sa couveuse ...toute habillée de sparadras qu'elle était, de fils, de tubes...juste étalée comme une crêpe sur un lange, les membres étirés, la peau rouge et fine... je m'entends encore dire "oh regarde Jean-Phi elle a déjà des ongles, incroyable!"... Nous étions émerveillés. Malgré la gravité de la situation, et le peu de choses que nous savions...
Manon n'a plus d'ongles. Elle les ronge maladivement, jusqu'à s'arracher les petites peaux de côté qui font si mal quand on les enlève... Elle se fait du mauvais sang. Je ne peux pas comprendre. Je n'ai jamais été une petite fille de dix ans... du moins dans la tête de ma puce.
Non, elle en est certaine, je n'ai jamais eu dix ans et tous ses problèmes. Elle me le répète, elle est la seule au monde à vivre une telle angoisse, un tel calvaire.
Le calvaire est matérialisé par une "boum", cet après-midi même. Aujourd'hui c'est la "quille", le dernier jour d'école. Ambiance farniente et rangement des casiers... Cartable plein à craquer d'une année de travail acharné et appliqué. Tous ces efforts doivent être récompensés. Le maître a tranché : une boum fera l'affaire.
Fini le temps où nous amenions notre simple jeu de carte et où on se rougissait la main à coup de pouilleux massacreur... je date d'une autre époque. Sans commentaire.
Manon tremble.
"tu te rends pas compte... le maître a dit qu'il mettrait une flèche par terre, les filles en rang et les garçons en face... et quand ça tourne et que ça tombe sur nous, bah faut danser avec le garçon..."
l'horreur suprême. le cauchemar de Manon! Etre collée à quelqu'un, le toucher, sentir sa respiration, lui répondre si il parle... non vraiment, ça mérite bien de rogner encore un peu plus l'ongle du petit doigt gauche, et en reniflant de surcroit... je ne dois pas la disputer car vraiment là, elle n'en peut plus.
"Ca va aller, chérie, tu vas voir, tu vas t'amuser..."
Mine renfrognée, bras croisés sur la poitrine, Manon bougonne.
"Non, moi je veux pas danser, j'aime pas ça... ça me fatigue!"
Manon et la danse, ça fait deux. Elle fait des efforts quand nous avons un mariage, mais c'est vraiment parce que sinon, elle s'ennuie comme un rat mort. Et encore, le rat, je suis sûre qu'il s'éclate plus qu'elle. Même mort.
Le problème, c'est qu'elle se fatigue vite quand elle danse. Elle attaque tout au rythme de "Love is gone" de David Guetta et tant pis si "Titanic" passe juste après, elle continue sur sa lancée. Elle ferait un malheur à Ibiza. j'essaye de trouver son bouton "OFF" pour lui permettre de respirer, mais je le cherche encore...
Vu comme cela, vous comprenez mieux. La danse, ça l'épuise.
J'attends donc de voir dans quel état je vais la récupérer à 17h... Je n'arrête pas de penser à elle au moment même où j'écris ces mots. Il est presque 15h. Elle doit être en train de s'attaquer à l'os de ses doigts, je ne vois que ça...
Je ne vais rien dire et attendre qu'elle me fonce dessus, le cartable plus gros qu'elle sur le dos, les cheveux en bataille, la démarche saccadée... je vais la serrer contre moi, lui relever le menton, déposer un bisou sur son petit nez et lui dire "Alors, raconte?..."

La suite au prochain épisode...

vendredi 29 juin 2007

Un déclic nommé Manon

Je ne sais pas pourquoi je fais un retour en arrière, là, tout de suite. Peut-être est-ce de te lire Aïleen, et de revivre à l'unisson les mêmes sensations, les mêmes interrogations, les mêmes frustrations... et avant tout, le même bonheur.
Le Grand bonheur devrais-je dire... celui de voir naître Manon un beau dimanche de septembre, celui de perdre toutes mes certitudes, celles qu'on a à 27 ans, qui vous rendent invincibles, mordants, et terriblement matérialistes...
J'avais une vie, un mari, une fille, un boulot, un appart, la capitale sur mon pas de porte... grouillante et trépidante... et puis plus rien, le vide, l'absence de futur...la peur de survivre à son bébé... chose dont je sais que je ne me relèverais jamais...
Ma mère me tenait la main et me disait: "Tu n'as pas été épargnée, tu sauras faire face..."... j'avais répondu "J'sais pas maman, j'ai vu des choses pas bien belles, mais là, c'est ma chair, il faut qu'elle vive. Je vais pas m'en sortir sinon"... j'ai failli tomber et ne pas me relever une fois, il y a longtemps...mais ce n'était pas mes tripes à moi qui étaient à l'air, à vif... c'était celle d'un homme qui avait tout fait pour que cela lui arrive... peut-être qu'un jour j'en parlerais avec cohérence, de ce 13 juin 1978, mais là, je ne peux toujours pas... Le jour où j'ai vu Manon pour la première fois, j'ai pensé de suite à mon père qui ne m'aimait pas et qui m'avait toujours dit "tu n'es qu'une bonne à rien"...
Il devait bien rigoler de là-haut, de me voir pétrifiée devant la couveuse de ma fille, il avait tristement raison... j'avais même pas su la garder neuf mois dans mon ventre... J'étais la plus nulle des mères qui puissent exister...
Manon m'a sauvée, de moi-même, de cette vie que je m'apprêtais à vivre qui n'était pas pour moi...
je lui dois tellement...
Certains amis sont partis aussi, jusqu'à ceux qui étaient nos témoins de mariage... affolés, nous pouvions être contagieux... le malheur, la poisse... nous en étions porteurs... grave erreur dans notre lancée professionnelle... nous étions des gagnants, nous sommes devenus alors des perdants... "ils sont sur la touche desormais, disait-on de nous..."... je ne sais pas pourquoi certains n'ont pas compris... que nous avions au contraire une grande chance de ne pas finir comme eux...
Les ex témoins et amis sont aujourd'hui divorcés, l'un des deux a fait une tentative de suicide l'an dernier...
C'est bien triste. Je ne souhaite de mal à personne, je ne leur en veux même pas.
Qui peut dire qu'il a la vraie recette du bonheur???... celle qui a fait de moi une grande émerveillée, qui va vérifier chaque soir avant de s'endormir que le petit être tant aimé respire comme il faut, et que je me dis que j'ai un véritable trésor sous la couette, la plus grande richesse qui soit, qui s'appelle un enfant...
Peut-être bien moi finalement ... depuis que je suis maman...

mardi 26 juin 2007

Manon a mal aux jambes

Manon n'est pas une plaintive. Elle a dû apprendre à souffrir en silence. Quand je la regardais dans sa couveuse, rattachée à la vie par des fils multiples, je me demandais si elle avait mal. Des fois elle grimaçait, se tordait, mais aucun sanglot n'envahissait son dôme de verre. Jamais. J'avais le coeur serré quand je voyais l'infirmière lui remettre son tube dans le nez, avec une vitesse et une précision que je prenais pour du professionnalisme. Je ne pouvais pourtant m'empêcher de voir Manon plisser les yeux, écarter les bras et faire un rictus de douleur... encore silencieux... Tout ce silence m'a longtemps pesé. je me sentais si impuissante.
j'essaye d'être à l'écoute. Encore aujourd'hui. Car Manon est un roc. Elle peut supporter beaucoup avant de nous balancer au beau milieu d'un repas "au fait j'ai mal aux mollets, j'arrive plus à poser mon pied à plat, ça tire..."... généralement tout le monde se tait car Manon prend la parole une fois, pas deux. Faut dire qu'elle n'a pas que cela à faire: dans Warcraft, il y a sûrement un lion à zigouiller rapidement, c'est une question de survie ! Et ce serait bête de rater un niveau à cause d'un brouhaha de fourchettes qui l'a empêché d'en placer une !
Manon a mal aux mollets, tiens, tiens... Serait-ce la croissance qui la chatouille, de mauvaises chaussures achetées par mes soins, un effort surhumain en sport?
Je lui ai posé la question "depuis quand tu as mal, Moumoune?"
Elle a répondu, blasée "bah depuis 4 jours, je te l'ai dit quand je suis sortie de l'école, mais tu parlais avec la maîtresse de Zoé alors..."
Prise en flagrant délit de bavardage, je plaide coupable.
J'ai préféré finir sa phrase "alors je n'ai pas entendu et tu n'as pas répété?"
"bah non"
Sacrée "Moumoune". Elle me fait rire. je n'ai pas le droit à l'erreur avec elle. Elle m'informe une fois, de préférence quand Noé a besoin que je lui change sa couche ou que je suis en pleine conversation avec quelqu'un. Et après, je me débrouille. Je devine, j'espionne, je consulte ma boule de cristal... une maman doit entendre même si elle a dix mille trucs à faire en même temps!!!! C'est bien connu!!!!
Zoé m'a conseillé de m'acheter une paire de bras et une paire d'oreilles supplémentaires: si quelqu'un connait le fournisseur, je suis preneuse!
Manon souffre d'hypertonie musculaire. Rien de nouveau là-dedans. Elle a longtemps marché sur la pointe des pieds, les mollets raides, la démarche saccadée... courir était un exploit, elle n'avait pas une bonne foulée. Tout a fini par s'arranger avec le temps.
Un médecin à Paris m'avait dit que chez les prémas, le tendon du mollet était réputé pour arriver à maturation vers la puberté. J'ai gardé cette phrase en tête. Et je continue d'attendre patiemment.
Manon ne peut toutefois pas continuer à avoir mal. Des minutes de contemplation passive et des heures d'interrogation devant sa couveuse m'ont rendue hermétique à SA douleur. Trop c'est trop. Manon a eu sa dose de mal-être silencieux. Monsieur le kiné-fasciathérapeute, vous pouvez me prévoir une petite place dans votre agenda. j'arrive...

vendredi 22 juin 2007

sa soeur aînée, Julie


Julie n'a pas eu de problèmes de santé.
Il en fallait au moins une : ce fut elle.
Julie se demande donc comment je vais parler d'elle : "A quoi cela sert-il puisque je suis normale!?...ah oui, normal, le mot résonne encore dans ma tête....
Julie a bientôt treize ans.
Elle est bien dans ses baskets.
Elle l'a toujours été. Heureuse de vivre, heureuse d'être la première des petits enfants, heureuse d'être l'aînée de la famille...
Julie rêve sa vie. Depuis petite. Et elle ne s'en cache pas. Elle n'a pas de maigres aspirations, elle vivra loin, aux Etats-Unis de préférence. Elle aura un super boulot, un mari sur mesure (s'il fallait l'inventer, ce serait le fils de Johnny Depp et de Wentworth Miller!!!", un chien (un golden retreiver bien sûr, celui dont je n'ai jamais voulu!)... elle fera les plans de son "cocon familial", sa déco... La maison de Gabrielle dans Desperate Housewives n'est pas mal, c'est vrai, mais la sienne sera dix fois mieux...
A côté de cela, Julie a une vraie vie dans laquelle elle n'est pas exigente. C'est d'ailleurs assez paradoxal. Elle rêve de confort, de dressing impeccable avec plein de fringues et de chaussures... Elle compose pourtant ses ensembles chez Jennyfer ou Mim... sans m'imposer de marques...
Julie aime "SA" vie. Elle n'en veut pas d'autre pour le moment. Grandir c'est difficile, surtout quand on vient de se taper une cinquième européenne avec un niveau assez élevé... sans parler des bouleversements gynécologiques qui la plient en deux chaque mois, de l'appareil dentaire métallique qui a gentiment été accueilli par Zoé alors qu'elle avait à peine mis le pied sur le paillasson "oh on dirait Darla dans Némo!!!!", des cheveux qui deviennent gras, des petits boutons qui tapissent son front et son nez quand elle est fatiguée...
Non vraiment, si c'est ça grandir, Julie veut bien faire une pause.
Non, elle a une meilleure idée : passer tout de suite à l'âge où on redevient jolie, où le corps s'arrête de n'en faire qu'à sa tête, car Julie se trouve moche... c'est l'âge me direz-vous!! Je tente de prendre cela avec philosophie, de la rassurer, et de lui dire qu'être une femme, c'est de toute façon se trouver plein de défauts... Que pour le moment, sa croissance n'est pas terminée... qu'elle va s'achever bientôt, et que tout rentrera dans l'ordre.
Julie a décidé de me croire et d'attendre. finalement.
Julie aime les jeux d'ordi : c'est une épidémie familiale, un mode de vie, une marque de fabrique... A sept ans elle évoluait déjà dans le monde des Sims, A 9 ans dans celui des neopets et de chapatiz... dans Second life aujourd'hui...
Elle a des tas d'amis virtuels, qu'elle ne rencontrera probablement jamais... à part peut-être sa petite copine suisse, avec laquelle elle correspond depuis deux ans, frénétiquement...
Julie a des tas d'amis dans la vraie vie... elle flâne d'une demeure à une autre, soit pour y faire une soirée pyjama ou un après-midi manga avec tenue gothic lolita recommandée...
Pendant ce temps, Julie nous présente les parents de ses copines...nous sympathisons et programmons des barbecues, des pique-niques, plus raisonnables à notre âge! Nous sommes des "vieux", ne l'oublions pas, nous approchons de la quarantaine...
Julie ne s'intéresse pas encore aux garçons. Peut-être qu'elle ne me dit pas tout, je ne peux pas en mettre ma main au feu... elle me dit qu'elle les trouve un peu "lourds"... "C'est vrai, quoi! shooter quinze fois dans mon sac à dos, parler foot ou rugby tout le temps et me regarder les fesses, tu trouves ça malin, toi!!!!????"
Euh, non... finalement, elle a peut-être raison, ils sont "gavés lourds"!!!!!
Julie aime ses soeurs. Elle n'est pas très démonstrative avec Manon, qui la "bloque" un peu des fois... elle ne sait pas pourquoi... elle sait juste qu'elle l'aime plus fort que tout, qu'elle a souffert de la voir maltraitée en primaire, et qu'elle aimerait lui donner sa force... Elle se réjouit d'ailleurs à l'idée d'être en troisième qu'en Manon arrivera en sixième... elle la prendra sous sa coupe, et personne ne touchera une mèche de ses cheveux!!... Julie sera son coach perso, c'est prévu, qu'on se le dise...
Julie admire les capacités intellectuelles de Manon, et se plaît à dire qu'elle est "bête" quand elle ramène une "tôle" en maths... Nous ne pouvons pas la laisser dire une telle chose. Nous avons trois filles très différentes, et en sommes ravis. Elles sont complémentaires. Et chacune a des qualités et des défauts.
Nous ne voulons pas d'une autre Julie. Celle-ci est parfaite.
Julie a su se mettre de côté quand nous étions dans la tourmente, avec Manon, ou Zoé... elle a su grandir sans nous poser de problèmes... Bon nombre de médecins nous disaient que le retour de manivelle risquait d'arriver à l'adolescence, qu'elle nous reprocherait alors des tas de choses...
Nous la trouvons de plus en plus épanouie, sûre d'elle...
Julie nous rassure. Elle a encore dit hier que nous étions "trop cools comme parents", alors que j'amenais le repas sur la petite table de salon, trop contente de partager avec elle et Jean-Phi le "confession tour" de Madonna...
Julie va bien... c'est ce qu'elle fait depuis sa naissance...
Nous l'aimons tendrement, comme ses soeurs...

mardi 19 juin 2007

Manon "pas de bol"

Manon a beaucoup de petites trouilles et comme par hasard, ces vilaines petites trouilles le lui rendent bien. Je ne connais pas quelqu'un d'autre qui accumule autant les "pas de bol" (euh si peut-être bien son papa!!)...
Fort heureusement, le "happy end" survient toujours à la fin... je vous rassure.
Manon a peur du métro. Ce n'est pas de sa faute, je suis pareille. Nous avons vécu à Paris jusqu'à ses cinq ans, dans un quartier super, vivant, joyeux : le quartier d'Aligre dans le 12ème arrondissement. Je tentais des fois le coup de prendre le métro avec ma poussette et mes nanas, histoire d'aller chercher leur papa au boulot et de finir la soirée dans le quartier des Halles... Mais j'étais lessivée, poussiéreuse, avant même d'y arriver. Il ne faisait pas bon avoir des roues à la place des pieds dans ce Paris-là, et encore moins dans les couloirs du métro...
Manon avait donc déjà emprunté ce moyen de transport, accrochée à mon bras et à ma poussette. Je les tenais généralement comme une forcenée, les ongles enfoncés dans leurs petits poignets qui rougissaient sous la pression maladive de mes mains... Julie me disait alors "tu me fais mal, maman!" Je lui promettais de lâcher prise dès que nous sortirions de ce gouffre surchauffé et puant...
Au printemps 2003, nous avons projeté une virée à Paris pour voir une exposition de vieux trains sur les Champs Elysées. Nous descendions chez le frère de Jean-Phi, qui habitait encore à cette époque à la caserne de Champeret : il est pompier. J'étais super heureuse de revoir Paris, de retrouver son effervescence, ses rues, ses marchés...
Nous avons embarqué toute la "smala" avec nous dans le métro (je dis "smala" car le frère de Jean-Phi avaient déjà deux garçons à cette époque, un troisième est arrivé depuis). Les deux frangins dirigeaient la joyeuse troupe, distribuaient les tickets de métro aux mômes, trop fébriles de les composter eux-mêmes... je fermais la marche avec ma poussette canne, ma Zoé bien calée dedans, plutôt ravie de ne pas marcher, tout en papotant avec ma belle soeur.
Le métro est arrivé, et je tentais de ne pas paraître parano, de ne pas m'enchaîner à mes filles comme une folle furieuse... Jean-Phi m'avait dit "sois cool, je suis là"... Je lui avais dit "oui mais tu jettes un oeil, ok?"... les hommes ont à ce moment-là une façon bien spéciale de répondre "mais bien sûr que oui, comme si je le faisais jamais!!", qui vous incite à ne pas en rajouter sous risque de les voir prendre leur air blasé préféré... vous savez, le même qu'il prenne quand nous leur demandons de donner le bain à la petite dernière pour nous avancer et que nous arrivons en douce par dessus leur épaule en demandant : "Tu lui as bien rincé les cheveux??? L'eau n'est pas trop chaude??? Tu lui as fait faire pipi avant???"... si, si le même que cet air-là!!! Celui qui nous conseille de faire demi tour et de retourner à nos pâtes qui cuisent!!!!
J'étais donc confiante.
Je me tenais au pilier central, bien consciente que ma poussette enquiquinait tout le monde, malgré les regards baissés des parisiens fatigués, perdus dans un livre gris et ennuyeux, qui semblaient ne pas me voir... Manon était près de moi, debout, en train de décripter chaque nom de station... Jean-Phi était debout devant les sièges rabattus, avec Julie, tout près de la porte.
Manon a eu une phrase, unique, simpliste : "Y a combien de métro Maman?"... Nous prenions une ligne directe, sans aucun changement. Il y avait à peu près cinq stations...
Bref, un trajet à priori hyper fastoche, qu'on donne aux débutants fraîchement débarqués à St-Lazare, comme moi, en 1991...
J'ai répondu sans m'étendre sur la question "un seul Manon"...
j'ai regardé Zoé qui tétouillait son doudou lapin pour se rassurer, puis j'ai jeté un oeil à Julie et à Jean-Phi qui s'amusaient à dévisager les gens à moitié endormis, avachis, qui avaient dû louper leur arrêt... Je me revoyais des années en arrière, vivant dans cette capitale si grouillante et si belle... je me demandais si je pourrais y revenir, y revivre, maintenant que j'avais goûté au jardin, à la proximité de la mer en Normandie, à la vie tranquille... Tout revenait dans ma tête.
Le métro s'est immobilisé pour son premier arrêt et j'étais encore dans mes pensées.
Le bruit sourd annonçant la fermeture des portes a retenti, j'ai alors eu un sursaut et j'ai regardé Zoé... Manon ne tenait plus la poussette, elle n'était plus là... devant moi, de nouveaux visages me bouchaient la vue et j'ai juste eu le temps de secouer ma main en l'air et de dire "Jean-Phi, où est Manon?????!!!!" Les gens ont tilté, se sont écartés de mon champ de vision et j'ai vu Manon seule, stoïque sur le quai, les yeux écarquillés... le métro repartait... Jean-Phi m'a regardée, il a compris dans mes yeux que j'étais pétrifiée, et incapable d'agir... Il a bondi sur la porte automatique, l'a écartée de force et y a mis son bras... une personne l'a aidé et Jean-Phi a réussi à s'extirper et à tomber sur le quai, la chaussure encore coincée par le caoutchouc noir de la porte automatique, alors que le métro démarrait ...
J'ai juste aperçu ses yeux triomphants et rassurants, et le tunnel est arrivé, pour le wagon, et pour moi... j'ai senti venir le malaise et mon beau-frère est accouru pour me soutenir et me dire "respire, ça va aller, il est avec elle..."... Zoé tétouillait toujours son lapin et avait même trouvé sa tétine... j'avais chaud, froid... il me fallait de l'air...
J'ai eu le temps d'imaginer le pire, c'est incroyable ce que le cerveau humain peut pulser quand il est en panique. J'ai envisagé plein de scénarios affolants : Manon seule sur le quai, qui angoisse, part dans tous les sens, et tombe sur les rails... Manon qui pleure, reste immobile, et un individu s'approche pour lui dire "je vais te ramener à ta maman, viens avec moi" et elle disparaît avec cet inconnu, qui l'éloigne de sa vraie vie, pour lui en bâtir une autre, une méchante vie bien sûr...
J'ai ressenti une angoisse terrible, comparable à celle qui survient quand vous avez votre bambin sous les yeux dans le rayon lessive d'un supermarché... que vous lui dites "tu bouges pas de là" et que vous tentez comme une malade d'attraper le bidon le moins cher perché tout là haut... et quand vous le tenez enfin, triomphante, et bien le cher petit n'est plus là, envolé, disparu... la scène classique qui donne des suées froides et apprend ce qu'est la culpabilité maternelle...
Tout s'est bien terminé, vous vous en doutez. Jean-Phi m'a appelé sur le portable pour me dire : "tout va bien, je prends le métro suivant et je vous rejoins..."... Manon n'a pas eu le temps d'avoir peur car elle n'a pas vraiment compris... à la limite, je pense qu'elle a cru que c'étaient nous les farfelus, qui avions oublié de descendre... Elle m'a juste dit "bah maman, tu m'avais dit un métro???" J'ai pris ma nénette dans les bras et je l'ai serrée très fort.
je peux vous dire que la visite des trains sur les Champs Elysées s'est faite "à l'ancienne", c'est à dire petites mains cramponnées à ma poussette et aucune possiblité de regarder quoique ce soit sans m'avoir sur le dos!