jeudi 5 juillet 2007

Manon est en vacances

Ca y est. C'est parti mon kiki. Manon ne reverra son école que le 29 août. Elle a déjà regardé son calendrier de La Poste (imagé d'un ours polaire, suspendu au dessus de son bureau), pour y calculer le nombre de jours hors de la maison et ceux où elle pourra disposer de Warcraft... ça ne rigole pas. Tout doit être préparé. Manon a besoin de repères. Ca la rassure.
Rassurée, elle l'était hier soir. La boum s'est très bien passée. Il n'y a eu que des slows. Elle a pu finir avec une respiration correcte et des jambes en état de marche!
Elle a été très sollicitée par des garçons, elle était fière... et rouge comme une tomate. Il faut dire que depuis deux jours, elle avait sérieusement la côte avec Mathis et Albert. La raison en était le suivante : l'occupation principale du maître depuis deux jours consistait à remettre la classe en état, les élèves avaient quartier libre. Manon m'avait demandé hier si elle pouvait amener sa console Nintendo. D'autres l'avaient fait. Elle avait le droit. A condition que les parents prennent leur responsabilité en cas de perte... ou de vol.
J'ai hésité. Mais je savais que Manon avait très peu de liens avec ses camarades de classe, car ses seules passions sont les jeux virtuels. Elle ne partage pas les jeux de ballons, les discussions de filles sur les vedettes... ça ne l'intéresse pas.
Je me suis donc dit, elle va enfin se rapprocher d'eux. On verra bien. Je tente le coup. Elle avait juste comme consigne d'amener un seul jeu. Ce fut Nintendogs. Un jeu virtuel où on élève un chiot.
Elle a déclenché l'admiration. Elle connait ce jeu comme sa poche, les astuces, les clivages. Elle a navigué de place en place, pour aider à s'en sortir sur un jeu Pokémon, elle savait comment se dépatouiller avec le dresseur... elle est très forte à Animal Crossing et a fait saliver les copains. Voilà donc la raison de son succès. Manon était devenue "l'une des leurs". Un vrai "petit mec" qui se délecte devant sa console, et parle Warcraft et figurines à collectionner. Des sujets qu'elle a gardé en elle. Alors que si elle en avait touché mot bien avant, cela aurait pu la rapprocher de certains. Dommage. L'année scolaire est finie.
Manon est une retardaire de l'affection. Elle n'ose pas. Elle pense qu'on va se moquer d'elle, la rejeter, l'ignorer. Elle ne sait pas s'y prendre. Elle ne montre d'elle qu'un côté timide et renfrogné, qui destabilise plus qu'il n'attire.
J'essaye par tous les moyens de lui prouver qu'elle est "aimable". Elle ne veut pas l'entendre. Elle pense que c'est de la moquerie, des mensonges.
Je compte beaucoup sur le temps, la maturité, pour la rendre docile et sociable.
Je ne peux pas toujours prendre la parole à sa place quand on s'adresse à elle, ou aller voir sa maîtresse pour lui dire qu'elle a oublié de faire un exercice et qu' elle n'ose pas le dire... Je ne serai pas toujours celle qui la relie aux autres. Il va bien falloir qu'elle se jète dans la "cage aux lions"... un jour ou l'autre...
Je ne serais jamais loin... là tout près... pour la rattraper si elle tombe... ou pour l'aimer encore plus fort si elle a été bafouée, trompée...
Je serai toujours son bouclier... Je la sens si fragile... si inoffensive...
Des fois l'avenir me fait peur. Je ne sais pas si j'arrêterai un jour d'avoir peur pour elle. Ca va et ça vient. Ce n'est pas tout le temps.
C'est une réaction que j'éprouve à chaque fois que je la sens en panique, comme hier avant la boum, et que je crains un rejet, une frustration, une moquerie... j'ai toujours peur de la ramasser à la petite cuillère. De devoir tout recommencer à zéro dans la longue quête de la confiance en soi... de revenir au point de départ. Et de devoir de nouveau la mettre "sous verre", pour qu'elle grandisse encore un peu plus, sois plus forte... pour affronter le monde extérieur.

mercredi 4 juillet 2007

Manon se ronge les ongles

Manon a eu des ongles, un jour.... c'est sûr car c'est la première réflexion que je me suis faite en la dévisageant dans sa couveuse ...toute habillée de sparadras qu'elle était, de fils, de tubes...juste étalée comme une crêpe sur un lange, les membres étirés, la peau rouge et fine... je m'entends encore dire "oh regarde Jean-Phi elle a déjà des ongles, incroyable!"... Nous étions émerveillés. Malgré la gravité de la situation, et le peu de choses que nous savions...
Manon n'a plus d'ongles. Elle les ronge maladivement, jusqu'à s'arracher les petites peaux de côté qui font si mal quand on les enlève... Elle se fait du mauvais sang. Je ne peux pas comprendre. Je n'ai jamais été une petite fille de dix ans... du moins dans la tête de ma puce.
Non, elle en est certaine, je n'ai jamais eu dix ans et tous ses problèmes. Elle me le répète, elle est la seule au monde à vivre une telle angoisse, un tel calvaire.
Le calvaire est matérialisé par une "boum", cet après-midi même. Aujourd'hui c'est la "quille", le dernier jour d'école. Ambiance farniente et rangement des casiers... Cartable plein à craquer d'une année de travail acharné et appliqué. Tous ces efforts doivent être récompensés. Le maître a tranché : une boum fera l'affaire.
Fini le temps où nous amenions notre simple jeu de carte et où on se rougissait la main à coup de pouilleux massacreur... je date d'une autre époque. Sans commentaire.
Manon tremble.
"tu te rends pas compte... le maître a dit qu'il mettrait une flèche par terre, les filles en rang et les garçons en face... et quand ça tourne et que ça tombe sur nous, bah faut danser avec le garçon..."
l'horreur suprême. le cauchemar de Manon! Etre collée à quelqu'un, le toucher, sentir sa respiration, lui répondre si il parle... non vraiment, ça mérite bien de rogner encore un peu plus l'ongle du petit doigt gauche, et en reniflant de surcroit... je ne dois pas la disputer car vraiment là, elle n'en peut plus.
"Ca va aller, chérie, tu vas voir, tu vas t'amuser..."
Mine renfrognée, bras croisés sur la poitrine, Manon bougonne.
"Non, moi je veux pas danser, j'aime pas ça... ça me fatigue!"
Manon et la danse, ça fait deux. Elle fait des efforts quand nous avons un mariage, mais c'est vraiment parce que sinon, elle s'ennuie comme un rat mort. Et encore, le rat, je suis sûre qu'il s'éclate plus qu'elle. Même mort.
Le problème, c'est qu'elle se fatigue vite quand elle danse. Elle attaque tout au rythme de "Love is gone" de David Guetta et tant pis si "Titanic" passe juste après, elle continue sur sa lancée. Elle ferait un malheur à Ibiza. j'essaye de trouver son bouton "OFF" pour lui permettre de respirer, mais je le cherche encore...
Vu comme cela, vous comprenez mieux. La danse, ça l'épuise.
J'attends donc de voir dans quel état je vais la récupérer à 17h... Je n'arrête pas de penser à elle au moment même où j'écris ces mots. Il est presque 15h. Elle doit être en train de s'attaquer à l'os de ses doigts, je ne vois que ça...
Je ne vais rien dire et attendre qu'elle me fonce dessus, le cartable plus gros qu'elle sur le dos, les cheveux en bataille, la démarche saccadée... je vais la serrer contre moi, lui relever le menton, déposer un bisou sur son petit nez et lui dire "Alors, raconte?..."

La suite au prochain épisode...