lundi 29 octobre 2007

Manèges



Manon m'étonnera toujours. Là où je ne l'attends pas, elle est, et là où j'aimerais qu'elle soit, elle ne veut pas être... contradiction, opposition... je ne sais pas. Disons qu'elle trace sa route, là où elle a envie d'aller. Manon est une petite fille qui prend des risques bien plus grands que ce que son quotidien lui impose... sans s'en apercevoir...
Hier nous avons eu une belle journée d'automne... ensoleillée, douce... le passage à l'heure d'hiver dans la nuit de samedi nous a permis de se lever tôt, complètement en forme dès 7h du mat...(et oui en France, on recule d'une heure fin octobre, et on avance d'une heure fin mars... institution -contestée- pour l'économie d'énergie... ce qui agit bien sur le métabolisme pendant quelques jours et détraque les bébés... c'est ça aussi, être français!)... nous avions annoncé la couleur depuis trois jours... sortie foire de Bordeaux dimanche... youpi, soyons fous... Julie a eu le privilège d'y gouter en avance avec ses amis samedi dernier (petit rappel sur "ma vie de maman")... les intempestifs "et nous alors???" de Manon et Zoé ont eu gain de cause... je ne sais pas accorder un privilège à mon aînée sous prétexte qu'elle a treize ans et que les deux autres iront elles aussi quand elles auront treize ans... le "oui mais moi j'aurai toujours pas d'amis" de Manon m'a crevé le coeur et le "d'ici là on aura encore déménagé et je verrais jamais la foire de Bordeaux moi!!!" de Zoé m'a montré l'ampleur du traumatisme appelé "mutation à répétition"...
Nous voilà donc partis en fanfare... direction le tramway, car se risquer dans Bordeaux relevait du suicide... du risque de tourner en rond en quête d'une place... de voir Jenfi s'énerver et dire "bon j'en ai marre, on rentre!!!"... la sûreté était en un seul mot "transport en commun"... nous avons pu constater que l'idée avait traversé l'esprit de plein d'autres promeneurs, nous avons eu le nez collé sur les vitres et la sensation d'être redevenus parisiens pendant 20mns... Zoé était ratatinée du haut de son 1m25 inexistant... Manon ne décollait pas de près de la porte automatique, trop appeurée de louper la sortie... Julie avait trouvé un petit coin protégé en hauteur et surplombait le flôt de voyageurs... jenfi était à l'autre bout du wagon... et moi j'étais droite, à surveiller mes filles, à côté d'un sexagénère sympathique acoompagné de sa femme et d'un couple d'amis... je lui ai souri... je souris facilement... ça ne coûte rien...
"Vous avez trois filles???"
J'ai hoché la tête.
"Et oui, j'ai pas su faire les garçons... "
"arf.... moi j'ai les deux... la fille m'a fait un petit enfant adorable... le fils ne pense qu'à ses jeux vidéos et il est encore chez papa et maman à 26 ans... alors!!!!"
J'ai rigolé.
"vaut peut-être mieux être seul que mal accompagné???"
"Oui, mais quand même... il dit que toutes les copines qu'il a eu étaient chiantes!!!..."
Il s'est adressé aux filles en souriant :
"Et vous, vous êtes chiantes les filles????"
Un "noooooooooonnnnn!!!" a raisonné, timide pour Manon, hilarant pour Julie, offusqué pour Zoé.
C'était un gentil monsieur... qui nous a dit avant qu'on descende "amusez-vous bien à la foire les filles!!!!"...
J'aime les conversations furtives... celles qui prouvent encore qu'on regarde son voisin, celui qui marche à côté de vous, qui vous jète un sourire... trop de gens se méfient, ne vous regardent plus...
La foire était gigantesque, bruyante. Manon regardait en l'air avec des "waouh" toutes les deux secondes... elle traînait... Zoé me tenait la main, Julie scotchait son père... J'ai demandé à Manon de ne pas trop flâner car la perdre là-dedans, c'était l'horreur absolue... ma peur bleue... ma phobie du kidnapping... elle a pris ma main mais pour vite la délaisser...
Julie avait une bonne connaissance des manèges présents et avait bien pris soin de faire baver sa soeur avec ses expériences d'ados en mal de sensations fortes... Je souriais et me disais que de toute façon Manon ne se risquerait jamais dans de telles "essoreuses à salade"... j'étais loin du compte... elle a accompagné Julie dans un bidule tournoyant et rapide à peine sorti des autos-tamponneuses!!!!
J'étais verte. Jamais je ne monterais à bord d'un tel truc... mais bon... je devais me contenir et ne pas la freiner... Jenfi me regardait du coin de l'oeil et attendait que je m'oppose... non, je me suis conduite en maman confiante... j'ai regardé le tour de manège et j'ai pris sur moi... même si des fois je croisais son regard affolé et la voyant bondir plus que les autres... comme pressée comme un citron... chahutée...
Manon est surprenante. Elle a peur de composer un numéro de téléphone et de parler dans le combiné mais monte dans un manège à grande vitesse... elle a récidivé avec deux autres "instruments de torture"... suivant son aînée avec joie... Julie était fière d'elle... Zoé n'avait pas l'âge, ouf, car là, mon coeur aurait lâché...!!! Nous avons passé un très bon après-midi... Manon est revenue ravie... un peu sonnée, courbatue... mais pleine d'entrain...
Je suis toujours loin de prévoir ses réactions... elle change tellement en ce moment...
Elle prend des risques là où je ne l'attends pas...
Depuis ce matin, elle joue à rollercoaster sur son ordi, et revit sa journée d'hier...
Elle raconte à Zoé combien ça allait vite et combien ça aurait été dangereux pour elle... Zoé lui dit "quand tu auras treize ans comme Julie, bah on ira ensemble, tu me tiendras???"...
"bah oui, j'ai pas peur moi, je ferai attention à toi, t'inquiètes pas...."
Trop mignon, ma Manon qui materne et rassure...

Des photos et un récit different vont suivre sur Jenfiblog... pour les curieux...

mercredi 17 octobre 2007

Réunion scolaire

Tous les ans, nous y avons le droit. Trois semaines après la rentrée, un petit mot dans le cahier de correspondance nous propose cordialement de venir s'informer du déroulement de l'année scolaire de notre chère tête blonde... c'est normal, conseillé et apprécié. Je suis généralement celle qui s'y rend, et de préférence seule... je refuse d'amener ma fille, soit-disant désireuse de me montrer son bureau, sa jolie classe, son travail soigné (!!!)... alors que cinq minutes plus tard, elle me laisse en plan et part courir dans les couloirs avec les autres bambins de sa classe tout aussi desintéressés... calculateurs sont nos enfants... mais sur ce point, je ne cède pas. Je pars seule et j'écoute avec discipline le contenu du programme scolaire...
C'est toujours marrant d'arriver cinq minutes avant... de saluer les visages connus, de s'asseoir à la place de son enfant en jetant un oeil à sa dernière évaluation bien mise en évidence... de s'apercevoir que les enfants dénoncés perturbateurs et bavards ont des parents à leur image!!!
Ce sont ces mêmes parents qui discutent entre eux et n'écoutent rien... qui râlent après les devoirs insuffisants et qui réclament des punitions plus sévères (depuis quand l'école doit-elle faire le rôle d'éducation des parents????)... qui demandent à ce que la classe de neige soit bien de quinze jours (surtout pas moins!!!) car cela leur fait des "vacances inespérées et attendues de pied ferme"!!!!.... Je m'amuse de voir le maître se sortir des pires situations car bien sûr, même s'il s'agit d'une réunion d'information générale, il y a toujours un parent qui en fait une affaire personnelle et parle du cas de son rejeton pendant toute la séance...
Pour la réunion scolaire de Manon, faite ce jeudi dernier, j'ai encore eu la panoplie complète de ce que je viens de décrire... j'étais bien placée, Manon est dans l'allée centrale... j'ai pris note de toutes les nouvelles réformes en matière de soutien scolaire, de préparation à l'entrée au collège... j'ai souri en entendant le sempiternel "il n'y a pas assez de devoirs" et je me suis sentie mal d'entendre un père de famille traiter sa fille de "fainéante" et "d'incapable" devant tout le monde... jamais je ne me permettrais de rabaisser autant mon enfant, même s'il était en difficulté scolaire... le maître a d'ailleurs remis les pendules à l'heure et a souligné le fait qu'un enfant à qui l'école proposerait un "PPRE" (programme de suivi scolaire) ne devait être en aucun cas considéré en situation d'échec par son parent... c'était le sujet qui fâche... nous avions les résultats des évaluations nationales de CM2 et suite à cela, un soutien était proposé ou pas, pour chaque élève...
Manon n'en aura pas besoin... elle passe son temps à me ramener des évaluations taxées d'un Acquis bienfaisant et valorisant... elle se sent à l'aise et ne rencontre pas d'obstacle... j'en suis rassurée et fière... car Manon n'a pas du tout abordé la primaire avec succès et zénitude... je dois dire que je suis assez surprise d'une telle réussite et je ne manque pas de la féliciter et de l'encourager... la flatterie est son moteur... nous ne l'oublions pas et nous faisons en sorte de nous informer de tout ce qu'elle fait...
Je suis restée en retrait pendant toute la réunion. Tout a été abordé. je n'avais pas de questions particulières. Les parents sont partis... seule une maman et moi-même sommes restées, désireuses de parler en privé à l'enseignant qui n'a pas pu s'empêcher de dire "ah! les deux mamans des petites filles les plus timides de la classe ont attendu que la foule parte pour ouvrir la bouche... "... et oui, les chiens ne font pas des chats!!!!
J'ai laissé commencer la maman de G., assez inquiète tant par le retrait de sa fille, que par ses résultats scolaires... je connais le petite fille en question et était étonnée de voir qu'elle était autant en souffrance, d'après les dires de sa maman...
Le maître a alors profité du sujet "timidité" souligné par cette mère de famille pour basculer vers moi, tout doucement.
"Oh vous savez, Manon est aussi timide que G.... mais elle change beaucoup et cela ne veut rien dire... "
Et là il me regarde et me dit triomphant.
"Tenez, miracle, Manon me sourit et me parle à la récré maintenant!!!!"
J'ai sursauté, interrogative.
"Non, impossible????... vous savez, elle vous aime beaucoup, elle se sent bien dans votre classe, je tenais à vous remercier d'avoir su aller vers elle..."
Il a souri.
"Ne me remerciez pas, je suis heureux de la voir comme ça... vous savez, je n'ai rien à redire sur son travail scolaire, elle est irréprochable... à part son côté un peu brouillon, tout va bien."
J'ai acquiescé.
"Oui, je suis très contente de la voir se débrouiller ainsi... c'était juste au sujet du sport que je voulais vous voir... notamment pour la préparation à la classe de neige..."
Il a sauté sur l'occasion.
"Oui, elle n'aime pas trop l'endurance, ni le rugby!!!! elle se met les bras devant le visage quand on lui envoie le ballon... et crache ses poumons en courrant!!!! mais bon, c'est pas grave, je la connais... elle râle tellement en sport!!!!..."
"Oui, elle est très râleuse quand elle n'aime pas... ceci dit, je voulais vous signaler pour la classe de neige qu'elle ne sait pas faire du vélo... au cas où vous feriez du VTT..."
"Ah bon????"
"elle est déjà montée sur des skis mais va à trois à l'heure..."
"?????"
"Et elle a un souffle au coeur et de ce fait court très lentement..."
"Ah il faut effectivement me prévenir de tout cela... pour le vélo, c'est bizarre non, à son âge???"
"Oui, c'est dû à sa grande prématurité... elle souffre d'hypertonie musculaire... tout doit rentrer dans l'ordre vers la puberté... "
Il a paru étonné.
"Mais je ne savais pas qu'elle était prématurée... vous faites bien de me le dire, c'est incroyable... c'est une enfant très attachante... elle vit dans son monde, elle me fait rire car elle ne parle que de ses dragons.... à ce propos, dites-lui de continuer à amener ses livres de dragonologie à l'école... elle réussit à rompre la glace avec les autres enfants grâce à sa passion et elle en tire une confiance en elle nécessaire à son épanouissement... c'est bien..."
J'étais contente d'entendre cela.
"Oui, elle trouve souvent un moyen détourné pour aller vers les autres..."
"C'est pas grave, l'essentiel est qu'elle y parvienne... les autres la prennent un peu pour un singe savant... c'est très marrant, elle est très intello..."
"Oui, vous croyez que ça ira pour la classe de neige???"
"Oui, ne vous faites pas de soucis, je doserai ses efforts... et puis j'étais avec elle en CE2 pour la classe verte, il y a deux ans, c'est la seule qui nous a accompagnés en rando jusqu'au cirque de Gavarny, je m'en souviens très bien, elle nous avait épatés!!!"
Je me suis souvenue de cette sortie dans les Pyrénées qui avait fait l'admiration des accompagnateurs. Manon avait marché sans rechigner avec son sac à dos et ses chaussures de rando toutes neuves... sans râler... jusqu'au bout... laissant ses camarades de classe un peu plus bas en pause pique-nique...
Je lui avais demandé à son retour, étonnée, mais émerveillée.
"bah alors, manon, je comprends pas? Tu es une casanière, tu ne bouges pas de la maison, et là, tu as marché longtemps en pleine montagne sans te plaindre????"
Elle avait paru surprise que je lui demande une telle chose et avait répondu, fidèle à elle-même.
"bah oui, tu sais bien que j'adore les Pyrénées, maman, je voulais voir le paysage de là haut!!! Et puis tu sais, moi je veux vivre là bas plus tard et avoir un patou..."
Manon a une peur panique des chiens et a le vertige dès le premier étage d'un immeuble, j'ai failli m'étouffer en entendant cela!!!
"Tu sais qu'un patou, c'est un gros chien des Pyrénées, un Saint Bernard quoi???"
"oui je sais, j'ai acheté une carte postale avec sa photo dessus avec mon argent de poche, regarde!!! et j'ai même pris un petit patou en peluche au monsieur qui est venu nous vendre des souvenirs au chalet!!!"
C'était vrai. Elle avait fait tout cela...
Manon est un mystère et un grand bonheur. Une petite fille fragile et robuste à la fois.
Je suis revenue à la maison après cette réunion scolaire avec un doux sentiment de légèreté dans le coeur... un bonheur simple et une envie de la serrer tout contre moi...
Je suis arrivée à la maison... tout le monde était en haut, soit à la douche, soit devant son ordi, soit devant un bouquin... le repas était prêt en bas, les bougies étaient allumés dans le salon, les lampes tamisées rendaient tout orange et feutré... j'ai posé mon sac et du bas de l'escalier j'ai dit.
"Manon, prépare tes fesses, j'ai deux mots à te dire!!!!"
Elle savait que je revenais de cette réunion. Elle s'est précipitée en haut de l'escalier, m'a dit timidement "pourquoi maman, qu'est-ce qu'il t'a dit????"... elle est arrivée, les cheveux ébouriffés d'avoir mis son haut de pyjama avec une délicatesse maladroite...
Elle s'est plantée devant moi.
"C'est quoi les deux mots que tu as à me dire, maman????"
Je l'ai attrapée, elle a mis ses bras autour de ma taille et a posé sa tête de côté contre ma poitrine... j'ai déposé un gros bisou sur le haut de sa tête, posant alors ma tête sur la sienne et j'ai dit...
"je-t'aime!!!- voilà les deux mots que j'avais à te dire ma puce...."
Et nous sommes restées comme cela quelques secondes, sans rien dire...
Elle savait que j'étais très, très... fière d'elle...

vendredi 5 octobre 2007

Superstition

Hier soir j'ai revu "Million dollar baby", un film de Clint Eastwood, celui du fameux "Mo Cuishle !"... j'aime beaucoup cette histoire, qui pourtant au départ, ne me bottait pas sur le papier ... cet acteur n'a jamais fait partie de ma filmographie variée... Il est pourtant devenu l'un de mes réalisateurs préférés... Je me souviens d'une soirée frissonnante devant "la route de Madison", où j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps... hier soir encore, j'ai vidé ma boite de kleenex... placée près de moi sur le canapé comme une évidence ... un sentiment de réflexion sur la vie m'a accompagné jusque tard dans la soirée... mêlé à la joie de me dire que j'ai une vie formidable, une chance inouïe... et à la peine de constater que la vie peut être cruelle et injuste... tout le temps...
Je ne vais pas vous raconter le film, il faut le voir.... le point qui m'amène à ce billet est dans le personnage de Maggie (la merveilleuse Hilary Swank)... elle dit à la fin de l'histoire une phrase qui me touche et me fait peur "Quand je suis née, je pesais 1,300kgs... mon père disait que je me suis battue pour vivre... c'est en me battant que je partirai...".... Ce fut le moment le plus humide de la soirée pour ma fragile sensibilité... Je me suis mouchée comme une malade et j'ai touché de ma main superstitieuse le bois de mon escalier placé juste derrière mon canapé... réconfort personnel non fondé... maladif... rassurant...
Jean-Phi m'a regardé et m'a dit en souriant "pourquoi tu touches du bois??? qu'est-ce qui t'as fait peur encore???"... et là, je lui ai dit "je regarde la fin, je te dirai après..."...
Le jour où Manon est née, son 1,100kgs m'a paru squelettique et insurmontable... je me demandais si c'était possible de finir l'oeuvre de la nature... si l'Homme n'avait pas là une prétention médicale trop acharnée... je voulais qu'elle vive, par tous les moyens... maintenant qu'elle était là, devant moi, et qu'elle respirait de façon autonome, il était hors de question de me l'enlever... j'ai eu une pensée ignoble et stupide, qui flottait dans mon esprit... si-tu-devais-mourir-mon-bébé-c'était dans-mon-ventre-qu'il-fallait-le-faire-...maintenant-tu es-une-réalité-... tu-ne-peux-plus-me-fausser-compagnie.... tu-m'entends?-.... tu-DOIS-vivre!!!!!
Je réalise aujourd'hui l'absurde immaturité de mes états d'âme... l'impossible deuil à faire... qu'il soit in-utéro ou ex-utéro... le cheminement aurait été le même... souffre-t-on plus de la perte d'un enfant parce qu'on a vu son visage? Parce qu'on a eu un moment de courte vie avec lui???
Je croyais avoir la réponse à cette époque... je pense m'être trompée...
Manon a senti que je lui ordonnais de se battre, tout le temps... épée de Damoclès... supplication d'une maman qui ne peut pas se résoudre à autre chose que la Vie... qui savait qu'elle n'avait pas prévu cela dans son scénario de vie rêvée étant enfant... qui suppliait le destin de lui accorder un peu de répit... un tout petit peu...
Elle s'est battue... comme une grande... de toutes ses petites forces...
Les médecins qui venaient en néonat nous disaient sans cesse "ah, vous êtes les parents de Manon! Sacré petit bout de chou, elle est volontaire votre fille! C'est assez extraordinaire vous savez??? "... Non, nous n'en savions rien... mais nous ne voulions pas qu'elle baisse les bras, jamais... je lui répétais chaque soir avant de rentrer chez moi "A demain trésor... maman t'aime. Et tu n'oublies pas, tu respires comme une grande et tu prends tes dix grammes, d'accord?"....
C'était ma façon à moi de lui dire de ne pas faillir... même en mon absence... jamais...

Le film s'est terminé... le silence s'est installé dans la maison... Zoé a alors chouiné et a sangloté... un vilain cauchemar avait mis plein de frissons en elle... elle a pris notre main et s'est rendormie...
Je n'ai pas mis le nez dans mon bouquin pour trouver le sommeil... j'avais dit à mon homme que je lui dirais pourquoi j'avais touché mon bois réconfortant... j'ai éxécuté ma promesse...
En fait, je n'ai jamais pu me défaire de l'idée que Manon devait se battre... même une fois sortie de la néonat... j'ai toujours eu l'impression que si le ciel devait nous tomber sur la tête, ce serait sur la sienne en premier... comme si sa fragile naissance donnerait suite à une vie rattachée à un fil... comme si elle était vouée à une poisse irréversible... comme si j'avais donné la vie à une enfant qui était une marionnette dont je ne commandais pas les gestes...
Je n'ai pas ce ressenti avec Julie et Zoé... le sentiment normal de peur de les perdre est arrivé au moment même où elles ont poussé leur premier cri... mais je l'ai apprivoisé et dompté... pas avec Manon... ce sentiment est en moi... j'ai peur que tout soit pire pour elle que pour ses soeurs... peur que je sois impuissante face à ses soufrances comme je l'ai été durant les deux mois de néonat... peur qu'on me l'arrache encore... parce que cela aurait pu être fait à sa naissance...
Quand j'ai entendu cette phrase dans le film, je me suis mise à pleurer car je me suis dit "A quoi ça sert ma pauvre Maggie que tu te sois battue avec ton petit 1kg300 pour en arriver là aujourd'hui??? Doit-on toujours revenir à la case départ???"...
Je ne veux pas que Manon ait à se battre de nouveau pour vivre... jamais... j'ai touché du bois pour que cela n'arrive pas... pour me protéger de mon anxiété...
Je suis toujours très inquiète pour elle quand elle part en classe verte ou ailleurs... sans moi... comme si une petite voix en moi me disait "ah, enfin tu la lâches un peu... on va pouvoir faire ce qu'on veut!!!"
C'est ridicule... cette petite voix n'est que l'écho de ma propre peur... de mon incapacité à me débarrasser de la crainte de la perdre...
La prématurité ne donne t-elle pas aussi des séquelles psychologiques à la maman??? Vais-je un jour me réveiller en me disant "ca y est, tu es libre... ton métier de "bouclier spécial Manon" est terminé... prends ta retraite... elle est capable de s'en sortir..."...
J'attends ce jour... ce poids en moins...
Car je pense que cela la freine aussi dans ses élans, ses risques...
Quand Julie se jète sur un manège de la mort-qui-tue, je laisse faire... Mais si Manon court la rejoindre je m'entends dire "euh pas toi Manon, tu vas avoir la trouille!!!!"....
Si quelqu'un connait le remède du je lâche-la'bride-et-je-la-laisse-vivre-enfin je suis intéressée... il est temps que je me soigne, pour son bien, et pour le mien...

mardi 2 octobre 2007

Sautillements

Le début de ce blog a été assez mouvementé. Relater une naissance comme celle de Manon n'était pas qu'une histoire d'accouchement volé, de peur de la mort de mon bébé, de crainte de l'handicap... c'était un "tout"... je l'ai écrit au moment où j'ai senti que la boucle était bouclée...
J'espère que les parents de petits prématurés qui lisent ce récit vont de desespoir en espoir, et non l'inverse.. sinon j'ai tout raté. Je suis passée par des étapes difficiles mais en montant d'un cran à chaque fois, d'année en année... dans l'échelle de la croissance et des acquisitions.
Manon n'a plus vraiment de retombées visibles de sa naissance... elle est plutôt rondelette, charpentée... elle est rarement malade... elle est sage comme une image... elle travaille super bien en classe... elle n'a vraiment pas de quoi nous inquiéter...
Ce midi, comme tous les midis, je suis partie la ramener à l'école avec Zoé... et Noé, affalé dans mes bras en pré-sieste, pauvre loulou... L'école est annexée à une cité de petits immeubles, près d'un petit bois qui leur permet de faire des ateliers gigantesques de jardinage (l'école a gagné le concours national des écoles fleuries l'an dernier!!!)... où même une biche a élu domicile... pour y accéder il faut se garer devant les petits immeubles et s'engouffrer le long de la crèche et de la maternelle, dans une cour fermée... aucun risque qu'un bambin sorte et soit au beau milieu des voitures... Quand j'arrive à ce premier portail, je lâche la main de Noé qui part en sautillant... tout en regardant si je le suis, petit bonhomme pas si vieux... Zoé avance vite car sa "cour d'admirateurs" est déjà en rang d'oignons à l'attendre fébrilement, le visage collé au grillage... elle arrive telle une vraie star... Manon marche tête baissée, la démarche mal assurée, si je devais l'imiter, autant dire que je m'emmêlerais les pinceaux et me ramasserais sur le pavé... je ne sais pas comment elle arrive à marcher avec une telle mauvaise position des pieds, un sautillement, un décalage, une maladresse... elle bat des "ailes" avec ses mains... comme quand elle a un trop plein d'énergie, de stress, de timidité...
Les instits sont souvent au portail suivant, celui qui donne accès à la cour... ils sont de "garde"... ils doivent surveiller l'entrée et la sortie des petits écoliers... ce midi, il y avait la directrice, ex-maitresse de Manon, puisqu'elle exerce le CM1... je la voyais me regarder arriver... l'air amusé... et intrigué à la fois... en dévisageant Manon... si singulière... mais qu'elle a appris à connaitre... et à aimer... je me demandais ce qui se passait dans sa tête quand Manon a ce type de comportement autistique... de démarche bizarre... surtout pour une enfant de 11 ans, c'est étrange... ce n'est plus l'âge où on bouge dans tous les sens... je me suis rendue compte que je n'y faisais même plus gaffe... tellement habituée à voir Manon se "lâcher" cinq minutes par ci par là... tel un oiseau fragile...
Elle n'est pas du tout comme Zoé et Julie sur le plan nerveux... elle est très calme, attentive, sage... mais son comportement peut partir en secousses à tout moment... en relâchement... en sauts inexpliqués ... je me demande si en fait, sous ses airs si sages, ce n'est pas elle la plus hyperactive des trois... la plus sensible et survoltée... par l'énergie qu'elle déploie pour "être" à la hauteur... par le stress de ne pas y arriver...
Je sais que c'est une attitude qu'elle a depuis toujours et je ne l'ai jamais vue ailleurs...
Elle finira sûrement par partir...
Le kiné m'a dit qu'elle avait une maturation nerveuse plus lente... et que son hypertonie musculaire influençait son comportement social... sa maladresse... son côté je-sautille-alors-que-je-suis-en-train-de jouer est induit par ce manque de maturité dans son développement nerveux...
J'espère que cela s'atténuera, comme annoncé... car au collège, elle aura besoin d'avoir un comportement plus adulte... dans son apparence... et même si son mental est en accord avec son âge, voir plus adulte, son corps reste marqué par sa lenteur à grandir... et c'est surprenant... au premier abord...
Je n'ai pas de référence plus agée qu'elle en matière de prématurité...
Je ne peux pas me projeter...
J'ai juste la certitude de voir tout basculer avec les hormones, la puberté... soit-disant que cela est plus marquant chez les enfants nés trop tôt...
Manon commence à avoir mal au ventre tous les mois...
Elle n'a aucune crainte des règles qui vont venir rythmer sa vie avec douleur et souillures rougeâtres... tous les mois...
J'avais pourtant la trouille qu'elle parte en courant en voyant cela sortir d'elle...
Elle ne fonctionne jamais comme je l'aurais prédit...
Heureusement, c'est ça la magie de la vie... nous donner un bien mauvais départ mais nous combler par la singularité d'un enfant qui ne grandit pas comme on l'aurait imaginé...
Manon est vraiment un phénomène... en ce moment, je l'entends se bidonner parce que Julie s'est pris le pied dans le tuyau de l'aspiro, sous son pif... elle est pliée en 4.... son rire résonne partout... c'est très communicatif... je vais aller les voir... et ranger cet aspiro de malheur que j'ai laissé en plan pour aller ramasser mes feuilles mortes devant la maison.... au grand air, avec les voisins qui tondaient et parlaient dehors...
Tout le monde est joyeux ce soir... il fait beau...
Dernières lueurs estivales... ça fait du bien...