lundi 19 novembre 2007

Accident domestique


Ca peut arriver. C'est ma bête noire. Encore plus depuis que je suis assistante maternelle. J'ai tenté d'investir dans tout ce qui pouvait exister en sécurité enfant (cache-prise, protège-plaque de cuisson, porte froide pour le four, blocs-tiroirs, barrières de sécurité amovible et fixe, produits ménagers et pharmaceutiques inaccessibles....) bref la liste est longue, donc incomplète...
Le petit garçon que je garde est arrivé ce matin avec un bel "oeuf" sur le front, trace violacée d'une chute de la mezzanine de son frère aïné... pour monter, c'est très simple et la planque est trop belle là-haut!... papa et maman peuvent chercher pendant des heures, pff! fastoche pour faire tourner en bourrique!!!! Mais pour redescendre, on fait comment, à deux ans et demi...????? La tête la première voyons!!!!!

Je ne blâme personne, j'ai connu aussi un épisode frontal assez décapant avec Manon....

J'étais en congé parental, je vivais à Paris... Manon avait à peine quatre ans. C'était un mercredi, j'avais mes trois demoiselles à la maison... les mercredis matins couleur grisaille des jours d'octobre étaient plutôt au ralenti... Généralement, les deux plus grandes venaient dans mon lit à peine le signal donné (claquement de porte de papa qui partait au boulot vers 7h30....)... calins sous la couette, chatouilles dans le cou, bisous baveux... Aucune discrétion possible! Zoé ne tardait pas à se faire entendre de sa chambre du fond, déjà bien consciente qu'elle devait tenir sa place... et ne pas être mise à l'écart... Les pieds nus, mes deux têtes blondes partaient alors en courant dans le salon, prenaient place sur leurs petits fauteuils en mousse devant la petite table ronde... la tasse remplie de cacao arrivait, la brique de jus d'orange, le nutella au pain toasté (si si, dans ce sens là, car la couche de nutella ne laissait pas deviner le pain du tout!!!!).... Zoé préférait les bras de sa môman et le biberon lacté de 240ml, avec ses biscuits préférés écrabouillés au fond, à la cuillère, telle une farine épaississante... les fameuses "éditions spéciales" de Lu.... qu'elle affectionne toujours...
Mes filles ont vite compris que le petit déjeuner pouvait s'accompagner d'un épisode de 'Franklin" ou des "trois petites soeurs"... cela permettait de trainailler joyeusement puisque l'école ne bousculait personne le mercredi... tout se faisait dans la lenteur et le côté "cocon" de l'appartement... Zoé me suivait partout, spectatrice gazouillante de ma douche, de mon habillage, de mes crises de ménage... la vie était paisible et douce... j'adorais les mercredis matins...( jusqu'à ce que le collège ne me les pique!!!!!!).....
Le bain était au menu, vers 10h... les filles le prenaient le soir en temps normal, mais à la va-vite... les larmoyants "Maman, je peux rester longtemps et prendre avec moi ma barbie sirène, ste plaît!!!????" ont eu raison de mes mercredis matins.... Rien ne pressait... Bien sûr, elles le prenaient à deux, à savoir Manon et Julie ensemble, histoire de tester la capacité de débordement de ma baignoire, et ma bonne volonté à éponger le sol à quatre pattes!!!!... car il n'y avait pas que barbie sirène comme divertissement aquatique, mais dix mille playmobil et quinze petits poneys rose et violet gorgés d'eau à longueur d'année!!!!.... bien sûr, vous compatissez, car vous savez de quoi je parle....

Un mercredi matin, le bain fut pris, dans la joie et la bonne humeur habituelles. Les babybulles s'étaient joints à la fête, ce qui permettait à Zoé de se hisser le long de la baignoire et de lever les bras pour attraper les joiles bulles réalisées par ses soeurs... énervée de ne rien attraper, si ce n'est un truc collant qui la faisait s'interroger... sur le côté bizarre de ce jeu qu'elle ne connaissait pas...
Julie a toujours eu des idées farfelues, que Manon ne manquait pas d'imiter. Manon a beau être un modèle de prudence, avec Julie, elle suit sans broncher...
Julie est sortie du bain en première, prenant sa serviette au passage, pour s'essuyer vite fait... J'ai enveloppé Manon dans la sienne, la frictionnant énergiquement, car Manon claque facilement des dents... elle a ensuite suivi Julie dans leur chambre commune...
Zoé avait décidé de regarder l'eau s'écouler doucement du bain... je n'étais pas tranquille, Zoé a toujours été plus intrépide et inventive que les autres... je me suis dépêchée de lui sécher les mains, et avant-bras qui avaient tenté une plongée pendant que j'épongeais ses soeurs... j'ai débarrassé la baignoire des intrus en plastique et j'allais fermer la porte... quand un "boum" m'a faite sursauter...
La salle de bain était au fond d'un couloir, qui n'avait que deux fonctions : amener à la chambre de Zoé et celle des deux plus grandes... j'avais un pas à faire pour être dans celle de la petite... quatre pour être dans celle des aînées... trois fois rien...
Je me suis retournée, tenant la porte de la salle de bain pour la fermer... et j'ai vu une forme recouverte d'une serviette de bain, assise dans l'encadrement de la porte.... inerte... Julie est sortie de la pièce affolée, sa serviette de bain encore sur la tête...
"Maman, je voulais pas qu'elle se fasse mal, on jouait à faire le fantôme, et...."
"Chut, calme-toi... je vais lever la serviette, Manon est juste tombée ..."
Manon avait effectivement mis sa serviette sur sa tête... tel un fantôme, elle s'était amusée à sautiller sans rien voir dans sa chambre, faisait un timide 'ouhouh" et avait percuté le chanbranle de la porte, en métal...
J'ai levé la serviette, un peu étonnée de son silence, de son immobilité, et là j'ai crié, bien malgré moi... elle avait le visage, le torse, les cuisses, recouverts de sang... j'ai toujours du mal à réagir au "rouge", au début, comme raménée en arrière, happée par l'odeur sanguine envahissante... Julie a été exemplaire. Elle est partie chercher du sopalin pour que je puisse dégager le visage de Manon... la main tremblante... trop peureuse d'une plaie à l'oeil...
En fait c'était une entaille profonde, qui partait du sourcil juqu"au cuir chevelu, dans le sens de la hauteur... la cause de tout nos émois était plutôt large... il fallait recoudre...
J'ai eu très peur... à cet endroit, ça saigne beaucoup...

Je suis partie avec elle à l'hopital Trousseau, berceau de sa prématurité, endroit maudit qu'elle n'aimait pas fréquenter... elle n'a pourtant rien dit... elle qui d'habitude hurlait devant l'homme à la blouse blanche, de façon systématique et hystérique... pour le moindre regard posé sur elle...
La plaie a été "collée" et non recousue...
Il reste une cicatrice, mais sa lourde frange la cache... et le temps l'estompe peu à peu...
Manon a senti que j'avais eu un blocage, devant son visage en sang, devant son manque de réaction... j'ai dit des choses du genre "ohlala, Manon, répond-moi... Manon parle-moi...!!!!"
Elle m'a pris la main une fois dans la voiture et m'a dit :
"T'as eu peur, maman, t'as pleuré...."
Oui les pleurs étaient mon mode de fonctionnement depuis que je l'avais mise au monde... à chacune de ses souffrances, je pleurais... trop agacée de la voir surmonter tout à ma place... sans que je ne puisse rien faire... à part la regarder...
Manon n'a pas eu d'autres incidents de ce type... heureusement...
Je touche du bois... ce fut ma seule fois aux urgences, pour accident domestique...
Ses soeurs n'ont pas eu besoin...
Mais ça peut être bête, inattendu...
C'était un simple jeu de fantôme avec une serviette en éponge dans un appartement feutré...
Comme quoi, il suffit d'un rien...